mercredi 8 mai 2013

À quel moment est-ce que la protection accordée par l'affaire Lac d'Amiante s'arrête-t-elle?

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Dans l'affaire Lac d'Amiante du Québec ltée c. 2858-0702 Québec inc. ([2001] 2 R.C.S. 743), la Cour suprême du Canada a confirmé l'existence en droit québécois de l'engagement implicite de confidentialité, lequel couvre la preuve (testimoniale et documentaire) obtenue dans le cadre d'un interrogatoire préalable. Selon la Cour suprême, cette protection existe tant que cet interrogatoire n'est pas déposé au dossier de la Cour, en tout ou en partie. Dans l'affaire Lamarre c. Trois-Rivières (Ville de) (2013 QCCS 1814), l'Honorable juge Marc St-Pierre doit répondre à la question de savoir quand on peut considérer un interrogatoire "déposé" au dossier de la Cour.
 


Dans cette affaire, le juge St-Pierre est saisi de requêtes des Défenderesses demandant le retrait du dossier de transcriptions, complètes ou partielles selon le cas, du dossier de la Cour. En effet, les Défenderesses ont appris, suite à un avis de dépôt desdites transcriptions, que celles-ci seraient disponibles publiquement dans le dossier de la Cour.
 
Les Défenderesses font valoir que la Cour suprême a jugé, dans Lac d'Amiante, que la règle de l'engagement implicite de confidentialité protège les informations contenues dans ces transcriptions jusqu'à leur production au procès et donc qu'elle ne peuvent être rendues publiques avant ce moment.
 
Pour le juge St-Pierre, la clé du litige se retrouve au libellé de l'article 331.7 C.p.c. En effet, au moment du prononcé par la Cour suprême de son arrêt dans Lac d'Amiante, cet article stipulait que les pièces et les transcriptions étaient déposées seulement au moment du procès, alors qu'aujourd'hui cet article prévoit le dépôt au moins 15 jours avant le procès. Ainsi, le juge St-Pierre en vient à la conclusion que la protection de l'engagement implicite de confidentialité est maintenant perdu dès la communication de l'avis de production et le dépôt physique au dossier de la Cour, même si celui-ci se produit avant le procès:
[28]        Aussi, la Cour fait l’historique des dispositions dans le Code de procédure civile relatives à l’interrogatoire préalable, en commençant par son introduction en 1888, passant en 1983  par le choix de celui qui interroge de ne pas déposer la transcription de l’interrogatoire ou d’en déposer seulement une partie puis se terminant, mon interprétation est que c’est important dans le contexte,  par l’introduction le 1er octobre 1995 de la procédure de dépôt des pièces faisant en sorte que (notamment) ˙˙même lorsqu’une partie entend introduire l’interrogatoire, il ne fera partie du dossier qu’à partir de l’audience˙˙. 
[29]        Ce serait donc en vertu de 331.7 C.p.c. tel qu'il se lisait à l'époque que le contenu des interrogatoires restait confidentiel jusqu'au procès ou par la suite si l'interrogatoire n'était pas utilisé au procès. 
[30]        Cette interprétation est renforcée par ce qui est écrit dans le paragraphe suivant immédiatement, le paragraphe 66 du jugement où il est mentionné que des éléments d'un interrogatoire incorporés dans le dossier judiciaire par le fait d'un débat devant le tribunal sur les objections fait disparaître la confidentialité, donnant ainsi ouverture à l'application des articles 13 C.p.c. et 23 de la charte déterminant le caractère public des débats judiciaires. 
[31]        La Cour suprême donne aussi d'autres exemples plus bas d'informations obtenues dans le cadre de procédures qui ne sont pas soumises à l'obligation de confidentialité car faisant partie de l'audience; la Cour réfère notamment à l’articles 405 C.p.c. relatif à l'interrogatoire sur faits et articles. 
[32]        Considérant que les questions permises par 405 C.p.c. peuvent toucher des sujets aussi variés que l’interrogatoire préalable, j’en conclus que ce n’est pas la nature intrinsèque de l’information qui détermine la confidentialité mais bien le format dans lequel elle est livrée. 
[33]        C'est donc le Code de procédure civile qui détermine par son encadrement le caractère confidentiel de telle ou telle procédure ou pièce ou document par le fait que l’information fait partie du dossier judiciaire ou pas et, le cas échéant, quand — c'est du moins l'enseignement que je tire des extraits ci-dessus référés du jugement. 
[34]        Dans les circonstances, je dois en conclure que la modification à l'article 331.7 C.p.c. a eu pour effet de renverser complètement la situation en ce sens que l'interdiction de dépôt de la transcription des interrogatoires ne tenant plus mais, au contraire, le dépôt devenant obligatoire au moins quinze jours avant le procès, plus rien n'interdit la communication du contenu d'interrogatoire dans la mesure où la transcription est produite au dossier de la Cour. 
[35]        Cette interprétation me paraît conforme au concept de vie privée en ce que c’est l’expectative de confidentialité  qui détermine la portée de la protection y rattachée; en fonction de l’amendement au code, il n’y aura plus d’expectative de confidentialité des renseignements livrés au cours de l’interrogatoire. 
[36]        Quant à l’article 37 C.c.Q., il n’est plus applicable à cause de l’amendement à 3337.1 C.p.c. non seulement parce qu’une des exceptions aux interdictions y contenues est l’autorisation de la loi mais aussi parce que l’information n’est plus privée à partir du moment où elle fait partie du dossier judiciaire. 
[37]        J'en viens donc à la conclusion que le contenu des interrogatoires au préalable ne jouit plus du caractère de confidentialité, du moins pas pour la même durée, par suite de l'amendement à 331.7 C.p.c.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/18uZxdp

Référence neutre: [2013] ABD 183

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