Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Dans certaines circonstances, il existe indéniablement en droit québécois une obligation de négocier de bonne foi. C'est le cas par exemple lorsque les parties négocient les termes d'une convention collective. À titre de corrolaire de cette obligation, les tribunaux pourront sanctionner la mauvaise foi d'une partie dans le cadre de ces négociations. Ce n'est cependant quelque chose qu'ils pourront faire à la légère. En effet, il n'est pas une mince affaire de démontrer qu'une partie négocie de mauvaise foi. Comme le souligne l'Honorable juge Pierre J. Dalphond dans Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ) c. Québec (Gouvernement du) (2013 QCCA 575), le fait de tenir fermement à une position lors d'une négociation n'équivaut pas automatiquement à mauvaise foi dans le cadre de celle-ci.
Dans cette affaire, les Requérantes, diverses associations de salariés regroupant des milliers de fonctionnaires québécois, sollicitent la permission d'appeler d'un jugement de la Cour supérieure qui a accueilli la demande en révision judiciaire d'une décision de la CRT. Cette dernière décision avait conclu à la mauvaise foi du gouvernement et autres groupes patronaux lors des négociations collectives de 2003-2005.
Le juge Dalphond refuse cette permission principalement parce qu'il ne voit pas d'erreur dans le raisonnement de la juge de première instance. Dans le cadre de sa décision, il souligne que maintenir fermement une position au cours de négociations n'équivaut pas automatiquement à négociation de mauvaise foi et qu'il est donc nécessaire de prendre en considération les cirsconstances complètes d'une négociation pour en venir à une conclusion:
[17] Quant aux lacunes dénoncées par la juge de la Cour supérieure, elles sont manifestes à la lecture de la décision de la CRT.
[18] Tenir fermement à sa position lors de la négociation d'une convention n'équivaut pas automatiquement à faire preuve de mauvaise foi. Il en faut plus et il est nécessaire de démontrer qu'il n'y a eu qu'une négociation de façade visant à détruire les rapports de la négociation collective. En l'espèce, la preuve de cette mauvaise foi ne peut se faire qu'en tenant compte de l'ensemble des négociations et des objectifs véritables de la partie patronale.
[19] La Cour suprême l'enseigne dans l'arrêt Health Services and Support c. C.-B., [2007] 2 R.C.S. 391 :
103 L’obligation de négocier de bonne foi n’impose pas la conclusion d’une convention collective ni l’acceptation de clauses contractuelles particulières (Gagnon, LeBel et Verge, p. 499-500). Elle n’empêche pas non plus la négociation serrée. Les parties restent libres d’adopter une « ligne dure dans l’espoir de pouvoir forcer l’autre partie à accepter les conditions qui lui sont offertes » (Syndicat canadien des la Fonction publique c. Conseil des relations du travail (Nouvelle-Écosse), [1983] 2 R.C.S. 311 , p. 341).
104 En principe, la vérification de l’exécution de l’obligation de négocier de bonne foi ne s’étend pas au contrôle du contenu des propositions présentées dans le cadre de la négociation collective; leur contenu demeure fonction du rapport de force entre les parties (Carter et autres, p. 300). Toutefois, lorsque l’examen du contenu démontre qu’une partie manifeste de l’hostilité envers le processus de négociation collective, l’existence de cette hostilité constitue un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi. Dans certaines circonstances, même si une partie participe à la négociation, les propositions et positions qu’elle présente peuvent être « inflexible[s] et intransigeante[s] au point de mettre en péril l’existence même de la négociation collective » (Royal Oak Mines Inc., par. 46). Cette attitude d’inflexibilité est souvent décrite sous le vocable de « négociation de façade ». La Cour a expliqué la distinction entre la négociation serrée, qui est légale, et la négociation de façade, qui contrevient à l’obligation de négocier de bonne foi :
Il est souvent difficile de déterminer s’il y a eu violation de l’obligation de négocier de bonne foi. Les parties à des négociations collectives reconnaissent rarement vouloir éviter de conclure une convention collective. La jurisprudence reconnaît une différence importante entre la « négociation serrée » et la « négociation de façade » [. . .]. La négociation serrée ne constitue pas une violation de l’obligation de négocier de bonne foi. C’est l’adoption d’une ligne dure dans l’espoir de pouvoir forcer l’autre partie à accepter les conditions qui lui sont offertes. La négociation serrée n’est pas une violation de l’obligation parce qu’elle comporte une intention véritable de poursuivre les négociations collectives et de conclure une convention. Par contre, on dit qu’une partie pratique la « négociation de façade » lorsqu’elle feint de vouloir conclure une convention alors qu’en réalité elle n’a pas l’intention de signer une convention collective et elle souhaite détruire les rapports de négociation collective. La négociation de façade est une infraction à la Loi à cause de ses objectifs irréguliers. La ligne de démarcation entre la négociation serrée et la négociation de façade peut être ténue.
105 Même s’il participe à toutes les étapes du processus de négociation, lorsque ses propositions et positions visent à éviter de conclure une convention collective ou à détruire les rapports de négociation collective, l’employeur manque à son obligation de négocier de bonne foi : voir Royal Oak Mines Inc. Aux propos du sénateur Walsh, selon lesquels [traduction] « la loi ne fait que conduire les représentants syndicaux à la porte de l’employeur », nous ajoutons que parfois les tribunaux peuvent néanmoins vérifier ce qui se passe derrière cette porte pour s’assurer que les parties négocient de bonne foi.
(je souligne)
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/Ynr8Wy[20] La CRT devait donc prendre en considération l'ensemble des négociations, et non uniquement l'aspect salarial, et s'interroger sur la motivation derrière la position ferme quant à l'augmentation globale de la masse salariale.
Référence neutre: [2013] ABD 153
Autre décision citée dans le présent billet:
1. Health Services and Support c. C.-B., [2007] 2 R.C.S. 391.
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