jeudi 11 avril 2013

Est libre et volontaire une démission remise sans que l'on exerce sur l'employé de pressions indues, et ce même si l'employeur refuse initialement cette démission

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

L'on parle beaucoup de congédiement déguisé sur le blogue et dans la jurisprudence québécoise. Il ne s'agit cependant pas du seul recours d'un employé qui allègue qu'il n'a pas véritablement démissionné. En effet, il est possible de faire valoir qu'une démission n'a pas été donnée de manière libre et volontaire. Par ailleurs, comme le souligne la Cour d'appel dans De Montigny c. Valeurs mobilières Desjardins inc. (2013 QCCA 600), l'employé devra faire la preuve de pressions indues ou de manoeuvres trompeuses de la part de l'employeur.


Dans cette affaire, l'Appelant remet en question un jugement qui a rejeté son action en dommages au montant de plus de 3 000 000 $ à la suite de son départ à titre de président et chef de l'exploitation de l'Intimée. Le juge de première instance en est venu à la conclusion que l'Appelant avait librement et volontairement donné sa démission et qu'il n'avait pas subi un congédiement déguisé. Qui plus est, il a également conclu que l'Intimée avait des motifs sérieux pour mettre fin à l'emploi de l'Appelant.
 
Pour nos fins aujourd'hui, c'est la première de ces trois questions qui nous intéresse.
 
Au nom d'un banc unanime de la Cour, l'Honorable juge Clément Gascon confirme la conclusion du juge de première instance quant au caractère libre et éclairé de la démission de l'Appelant. Il souligne qu'en l'absence de pressions indues, il n'est pas possible de conclure que la démission n'était pas libre, Il ajoute que le fait que l'employeur a initialement refusé cette démission ne change rien à ce chapitre:
[69] Comme le juge le note, l'appelant a remis une lettre de démission claire et non ambiguë, sans contrainte, sollicitation ni pression de qui que ce soit. Personne ne lui a suggéré de le faire, ni laissé entendre que son poste était en danger.  
[70] En outre, non seulement l'appelant a-t-il remis cette lettre à M. D'Amours le 14 mars 2005, mais il a refusé de la reprendre lorsque ce dernier ne l'a pas acceptée. Au surplus, l'appelant n'a jamais manifesté une intention quelconque de retirer cette lettre, ni demandé à quiconque de l'ignorer. 
[71] De ce point de vue, que M. D'Amours ait initialement refusé sa démission signifie peu. Malgré ce refus, l'appelant a insisté pour que son geste unilatéral demeure et ait toute sa portée. Le refus par l'employeur d'une démission que l'employé maintient ne transforme pas le geste unilatéral du second en un congédiement du premier. 
[72] Ici, le juge constate avec à-propos que l'appelant est un homme d'affaires aguerri, intelligent et compétent, doté d'un grand esprit entrepreneurial, et rompu aux négociations de toutes sortes. Sa lettre de démission n'est pas le fruit d'une impulsion soudaine. C'est un choix calculé et réfléchi, fait en toute connaissance de cause. 
[73] L'appelant n'établit pas d'erreur manifeste et déterminante du juge dans sa conclusion voulant que le geste de l'appelant ait été librement posé dans un objectif précis : celui d'exercer un moyen de pression sur l'intimée afin qu'elle acquiesce à ses revendications sur sa rémunération globale. L'appelant s'est ainsi sciemment servi de l'arme de la démission pour tenter d'arriver à ses fins. Que l'arme se soit retournée contre lui ne rend pas son usage moins libre et plus involontaire. Le fait qu'il s'agisse d'un moyen de pression ne transforme pas la démission en congédiement déguisé, ni n'en atténue les conséquences. Sans doute que l'appelant considérait son importance chez l'intimée supérieure à ce qu'elle était en réalité. Néanmoins, qu'il se soit trompé en lançant son ultimatum ne change rien au caractère volontaire de son geste. 
[...] 
[75] La prétention de l'appelant voulant que sa démission était« conditionnelle » ne résiste pas à l'analyse. Cette démission ne comportait aucune condition. Elle visait bien sûr à provoquer une révision par l'intimée des conditions de travail qu'il jugeait inadéquates. Dans cette optique, l'intimée a accepté d'analyser les conditions de sa rémunération, d'en revoir les paramètres et de tenter de trouver une solution à l'impasse créée par la lettre de l'appelant. Toutefois, ces efforts de l'intimée ne transforment pas la lettre en une démission involontaire ou induite. Conclure ainsi serait faire indûment supporter à l'intimée le poids de la décision arrêtée librement par l'appelant et qu'il n'a jamais reniée. 
[76] De même, la décision de l'intimée d'accepter la démission n'en faisait pas un congédiement déguisé. Que l'intimée ait conclu qu'elle ne pouvait, en dernière analyse, donner suite à l'ultimatum de l'appelant ne rend pas sa démission conditionnelle ou forcée. Devant le peu de choix dont l'intimée disposait, le constat de M. D'Amours voulant que les événements le forçaient à conclure à une perte de confiance envers l'appelant et à une impossibilité de convaincre le conseil de donner suite à ses revendications sur sa rémunération appuyait la décision d'accepter la démission.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/16WdRYK

Référence neutre: [2013] ABD 145

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