mercredi 20 mars 2013

La partie qui, lors d'un interrogatoire préalable, indique que c'est son avocat qui pourrait répondre à une question donnée, renonce au secret professionnel sur la question

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Nous avons déjà discuté ensemble de la renonciation implicite au secret professionnel (voir notre billet du 5 janvier 2011 par exemple). S'il est vrai que celle-ci ne se produit qu'exceptionnellement et qu'elle se doit d'être non équivoque, il est également vrai qu'une partie ne peut se retrancher derrière le secret professionnel pour ne pas avoir à répondre à des questions pertinentes. Dans 9148-9442 Québec Inc. c. 9252-4396 Québec Inc. (2013 QCCS 1079), l'Honorable juge Line Samoisette en est venue à la conclusion que la personne qui, lors d'un interrogatoire préalable, indiquait qu'il fallait poser la question à son avocate interne renonçait implicitement au secret professionnel.
 

Dans cette affaire, la Défenderesse demande la permission d’interroger un tiers sur les faits allégués à la requête introductive d’instance. La personne que la Défenderesse désire interroger est l'avocate corporative de la Demanderesse (NB: en passant, je ne suis pas convaincu que l'on peut qualifier une telle avocate corporative de "tiers" au sens du C.p.c., mais cela n'est pas le sujet du présent billet).
 
Un des motifs d'objection à cette demande est basé sur le secret professionnel.
 
Or, même si la juge Samoisette convient que le secret professionnel s'applique en l'instance, elle en vient à la conclusion que la Demanderesse a renoncé à celui-ci en donnant la réponse suivante:
Q. [808] O.K. Mais pourquoi, là, à cette date-là on s’interroge sur le développement que le ministère du Transport du Québec, est-ce que je dois comprendre que les autorisations n’ont toujours pas été obtenues à cette date-là? 
R. [ligne 15] Si vous remarquez, c’est un échange avec maître Morin. Il faudra vérifier avec maître Lafrance.
 
Expliquant sa décision, la juge Samoisette indique ce qui suit:
[15] La défenderesse doit démontrer que la demanderesse a relevé son avocate Me Lafrance de son secret professionnel. Si tel est le cas, le Tribunal doit déterminer si les questions sont pertinentes et utiles pour faire avancer le débat.  
[16] Le secret professionnel de l'avocat est protégé par l'article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne, par l'article 2858 du Code civil du Québec et par l'article 131 de la Loi sur le Barreau. Toutefois, le titulaire du droit au secret professionnel peut y renoncer. La renonciation peut être expresse ou implicite, mais elle doit être volontaire et claire
[17] La Cour d'appel dans l’arrêt Pothier c. Raymond, rappelle l'importance de protéger le secret professionnel : 
« [2] Ce libéralisme interprétatif s'oppose ici, du moins à première vue, au fait que les renseignements recherchés sont couverts par le secret professionnel, qui est protégé par l'article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne et a statut de droit fondamental. La protection du secret professionnel particulièrement lorsqu'il s'agit du secret professionnel de l'avocat, est une règle de fond de notre système de droit. À ce titre, ce n'est pas sans précaution que les tribunaux peuvent conclure à une renonciation, laquelle doit être claire et non équivoque (St-Alban (Municipalité de) c. Récupération Portneuf inc., [1999] r.j.q. 2268 , p. 2271). Lorsqu'il est question de renonciation implicite, par ailleurs, on ne doit lui donner ni plus ni moins que la portée nécessaire, ce qui exige une certaine prudence interprétative
Cela dit, ce n'est pas parce que le contexte est celui du secret professionnel que la notion de « pertinence » aux fins des interrogatoires préalables doit être réduite par rapport à ce qu'elle est normalement : la Cour suprême a clairement reconnu le contraire dans Glegg c. Smith & Nephew Inc., précité, notamment aux paragr. 23-25, affaire où il était question du secret médical et dont les principes sont transposables au secret de l'avocat, avec les adaptations qui peuvent être nécessaires. » 
(notre soulignement)
[18] Dans l'arrêt précité, le défendeur avait lui-même renoncé au secret professionnel en fondant sa défense de bonne foi sur le fait qu’il avait consulté son avocat et agi sur les conseils de celui-ci. Dans ce contexte, la Cour d’appel avait permis l'interrogatoire du procureur des défendeurs en le limitant toutefois à certaines allégations. 
[19] En l’instance, le Tribunal estime que la question 732 de l’interrogatoire avant défense relève du secret professionnel puisqu’il est alors question de la requête introductive d’instance entreprise par un autre procureur que Me Lafrance. 
[20] Reste la question 808 de l’interrogatoire avant défense. Le Tribunal estime que dans le contexte, la demanderesse, Rollande Richer, a relevé son avocate, Me Mélanie Lafrance, du secret professionnel concernant cette question. Considérant que cette question est utile et pertinente, il sera donc permis à la défenderesse d’interroger à cet égard Me Lafrance.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/WH8w6o

Référence neutre: [2013] ABD 114

Autre décision citée dans le présent billet:

1. Pothier c. Raymond, 2008 QCCA 1931.

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