Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Je ne surprendrai personne en soulignant que la liberté contractuelle est beaucoup plus grande en matière de bail commercial que de bail de logement. Ainsi, bien que le législateur indique au Code civil du Québec que le locateur a l'obligation de procurer la jouissance des lieux loués, de garantir le locataire contre les troubles de droit et de ne pas changer la destination des lieux, il ne s'agit pas, dans le cadre d'un bail commercial, de règles d'ordre public de sorte que les parties peuvent y déroger contractuellement comme le souligne la Cour d'appel dans Max Aviation inc. c. Développement de l'aéroport Saint-Hubert de Longueuil (DASH-L) (2013 QCCA 551).
S'affrontent dans cette affaires des sociétés qui exploitent des entreprises de transport aérien et des écoles de pilotage (les Appelantes) et la société responsable de la promotion et du développement de l'aéroport de Saint-Hubert (DASH-L) et six de ses administrateurs (les Intimés). Pour bien rendre justice aux faits sommaires essentiels de cette affaire, je reproduis ci-dessous l'entrée en matière de l'Honorable juge Clément Gascon, qui rend jugement au nom d'un banc unanime:
[5] Au cœur du litige se trouve une résolution adoptée par les administrateurs intimés de DASH-L le 3 juin 2010 (la Résolution P-1). À compter de cette date, la Résolution P-1 prévoit, entre autres, la limitation des« posés-décollés » sur la piste 24G de l'aéroport du lundi au vendredi, de 8 h à 20 h, et le samedi, de 8 h à 13 h, et ce, jusqu'à la réunion du conseil d'administration de DASH-L prévue le 9 août 2010.
[6] En première instance, les appelantes ont introduit un recours en jugement déclaratoire, en nullité et en injonction visant à déclarer nulle la Résolution P-1 et à ordonner aux intimés de ne pas modifier les heures d'utilisation des pistes de l'aéroport de la façon envisagée. Les juges saisis de leurs demandes au stade de l'injonction provisoire et de l'injonction interlocutoire leur ont donné raison. Toutefois, au stade de l'injonction permanente, le premier juge a rejeté leur demande, d'où l'appel.
Pour les fins du présent billet, nous ne discuterons pas de la première question (le pouvoir de DASH-L d'adopter la résolution en question), notant simplement que le juge Gascon en vient à la conclusion que DASH-L avait le pouvoir requis.[7] Les appelantes soutiennent qu'il a erré. Selon elles, DASH-L n'aurait pas le pouvoir d'adopter la Résolution P-1. En outre, en ce faisant, DASH-L violerait ses obligations contractuelles envers les appelantes à titre de locatrice. Qui plus est, aux yeux des appelantes, les intimés auraient agi de mauvaise foi dans les faits, au bénéfice de l'intervenante, Ville de Longueuil (la Ville), où l'aéroport est situé.
C'est le deuxième aspect qui nous intéresse ici, i.e. la prétention qu'en adoptant la résolution, l'Intimée violait ses obligations légales de procurer la jouissance des lieux loués, de garantir contre les troubles de droit et de ne pas changer la destination des lieux envers ses locataires.
Là aussi, le juge Gascon en vient à la conclusion que l'argument avancé par les Appelantes doit échouer. Il souligne que ces obligations prévues au Code civil du Québec ne sont pas d'ordre public dans le cas d'un bail commercial, de sorte que les parties pouvaient y déroger contractuellement. Or, c'est précisément ce qu'on fait les parties dans le bail selon le juge Gascon, prévoyant une réserve pour les règles et règlements établis par le bailleur pour la gestion et l'exploitation de l'aéroport:
[87] Cela dit, les obligations du locateur de procurer la jouissance des lieux loués, de garantir le locataire contre les troubles de droit et de ne pas changer la destination des lieux sont prévues au Code civil. Toutefois, en matière de bail commercial, ces obligations ne sont pas d'ordre public; il est permis d'y déroger.
[88] De ce point de vue, pour un bail commercial, il y a une latitude qui n'existe pas dans le louage résidentiel. L'article 1893 C.c.Q. confère un statut d'ordre public à certaines dispositions en matière de louage pour les logements résidentiels uniquement :
[...]
[89] La jurisprudence de la Cour est claire sur ce point :
[35] Il importe de rappeler ici que les articles 1854 , 1858 , 1859 , 1861 , 1863 C.c.Q. qui régissent l'obligation du locateur de fournir au locataire la paisible jouissance des lieux loués, ne sont pas d'ordre public : les parties à un bail commercial peuvent donc, comme elles l'ont fait ici librement, limiter, même de façon draconienne, les obligations du locateur (contrairement à ce qui se produit en matière de bail de logement, selon l'article 1893 C.c.Q.). […].
[25] Malgré que cette obligation de procurer la jouissance tienne de l'essence même du contrat de louage et qu'elle en soit une de résultat, il se trouve que les parties à un bail commercial peuvent néanmoins y déroger, car les dispositions de l'article 1854 C.c.Q. ne sont pas d'ordre public.
[Je souligne]
[90] Or, dans les baux liant directement ou indirectement les appelantes à DASH-L, le droit à la jouissance paisible est prévu, mais sous réserve des règles et règlements établis par le bailleur pour la gestion et l'exploitation de l'aéroport. À preuve, dans le bail qui concerne l'appelante Les Structures & Composantes Avtech Inc., on retrouve les clauses suivantes :
[...]
[91] Les baux qui lient les appelantes comportent tous des dispositions similaires. Une limitation à la jouissance paisible y est expressément prévue. En somme, ces baux prévoient le libre accès aux pistes par les locataires sous réserve des règles et règlements établis par le bailleur. Le libre accès aux pistes est donc assujetti au libre exercice du pouvoir de gestion de l'organisme qui en a le pouvoir, soit DASH-L.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/10kZH0S[92] En d'autres mots, les parties ont expressément prévu des clauses permettant à DASH-L d'adopter la Résolution P-1 comme elle en a le pouvoir. Les appelantes ont convenu de s'y soumettre. Dans l'affaire Jetall Airways, la Cour supérieure a reconnu la validité de clauses analogues.
Référence neutre: [2013] ABD 124
Autre décision citée dans le présent billet:
1. Aéroports de Montréal c. Jetall Airways Inc., J.E. 94-528 (C.S.).
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