Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
En décembre 2010, nous écrivions un billet qui rappelait les enseignements de la Cour d'appel dans l'affaire Quebecor Printing Memphis Inc. c. Regenair inc., 2001 CanLII 27960 (voir notre billet ici: http://bit.ly/VKoHle) à l'effet que les tribunaux québécois sont compétents pour entendre un litige quant une des obligations au contrat devait y être exécutée et non pas quand une des obligations au contrat y a été exécutée. Dans Licaplast Industries Emballages inc. c. Ice River Springs Water co. (2013 QCCS 572), l'Honorable juge André Roy vient appliquer ce même principe et souligne que le lieu où une partie a exécutée une obligation contractuelle n'a pas de pertinence pour les fins de la juridiction des tribunaux québécois.
Dans cette affaire, les Défenderesses présentent une exception déclinatoire et demandent le rejet des procédures instituées contre elles au motif que les tribunaux québécois ne sont pas compétents pour entendre le litige.
La Demanderesse allègue une véritable litanie de ce qu'elle considère des critères de rattachement. En effet, elle allègue initialement que (a) le contrat a été formé au Québec, (b) les bons de commande ont été reçus au Québec et (c) la lettre de garantie signée par une des Défenderesses a également été reçue au Québec. Comme nos lecteurs (ou ceux de l'article 3148 C.c.Q.) le savent très bien, ces éléments n'ont absolument aucune pertinence à la détermination de la compétence des autorités québécoises pour entendre un litige civil à caractère patrimonial.
La Demanderesse amende donc ses procédures pour alléguer de plus que (d) c'est au Québec qu'elle a exécuté son obligation de produire la marchandise, (e) les paiements ont été faits et/ou devaient être faits au Québec et (f) le non paiement des sommes réclamées constitue un préjudice subi au Québec.
Quant aux items (e) et (f), le juge Roy en vient à la conclusion que ce n'est pas au Québec que devaient être faits les paiements et que le préjudice résultant du non paiement n'a donc pas été subi au Québec.
Finalement, sur le point (d), le juge Roy applique la jurisprudence pertinente et souligne que, pour les fins de déterminer la compétence des autorités québécoises pour entendre un litige, le lieu où une obligation a été exécutée n'a pas d'importance. Il faut plutôt se demander où elle devait être exécutée en fonction du contrat:
[18] And contrary to Licaplast’s allegation, the terms of the agreement did not provide for a place where the products to be sold were to be manufactured. As a matter of fact, according to Defendants’Purchasing manager, the place of manufacturing of the products had no importance whatsoever.
[19] Even if Plaintiff did manufacture the products in the Province of Québec, it has no obligation to do so according to the terms of the agreement.
[20] As to the place of payment for the products delivered, the contract between the parties remains silent. In such a case,the situs of the obligation to pay the sale price is that of the delivery of the goods, in this case Ontario and the U.S.
Commentaire:[21] In this regard, the manner in which the parties actually performed their obligations is irrelevant. One must distinguish between an obligation being executed in fact in Québec, and that obligation having to be executed in Québec according to the contract.
Je n'ai absolument rien à redire sur cette décision. Il me semble manifeste à la lumière des allégations dans la requête introductive d'instance et la preuve faite devant le juge Roy (telle que rapportée dans le jugement) que les autorités québécoises n'ont pas compétence pour entendre ce litige.
Par ailleurs, je me questionne sur un aspect théorique de la juridiction des tribunaux québécois quant au lieu où doit être exécuté une obligation. Qu'arrive-t-il si le contrat est silencieux quant au lieu d'exécution mais que, à la connaissance de toutes les parties contractantes, la partie demanderesse n'a qu'une seule usine ou manufacture et que celle-ci est située au Québec. Ne pourrait-on pas alors conclure que, implicitement, le contrat prévoyait que l'obligation serait exécutée au Québec?
Je n'ai jamais fait de recherche exhaustive sur la question alors je ne peux pas vous dire si elle a déjà été tranchée dans la jurisprudence, mais il me semble que l'argument serait intéressant (et même, à mes yeux, convaincant). Je note que dans l'affaire Thundernet Enterprises Inc. c. Rogers (2010 QCCS 1869), l'Honorable juge Manon Savard indique qu'il "faut que l'entente prévoie expressément que l'obligation doit être exécutée au Québec". Elle cite la décision de la Cour d'appel D.D.H. Aviation Inc. c. Fox (2002 CanLII 41085), mais respectueusement cette décision (et l'extrait dont elle en cite ne dit pas cela):
27. The crucial point is that there is no basis for concluding from the allegations in the Declaration, that according to Fox's Agreement with Appellants, he had an obligation to perform in Quebec. The allegation that Fox assisted with the refurbishing process does not confer jurisdiction on the Superior Court. In order to confer jurisdiction, there has to exist an obligation to perform in Quebec which arises from the Agreement.
28. Indeed, if a duty on Fox to attend in Dorval (or elsewhere in Quebec) and perform services here, arises from that Agreement, his actual performance of the services might well be irrelevant, because it is the place where the obligation is to be executed which is determinative for the purpose of establishing jurisdiction rather than the mere fact of his physical presence. As a corollary, even if Fox performed services in Quebec, if he had no obligation to do so arising from the Agreement, then no jurisdiction is conferred on the Superior Court by article 3148 (3) C.C.Q.Une obligation qui "arises from the Agreement" doit-elle être expressément stipulée? Je n'en suis pas certain. Prenez le scénario où toutes les parties contractantes savent que X a une seule usine et qu'elle est au Québec. Peut-on dire alors que l'obligation ne devait pas être exécutée au Québec? Et si le contrat stipulait en plus que X ne pouvait faire exécuter son obligation par une autre personne en raison de son caractère intuitu personnae?
(mon soulignement)
J'aimerais beaucoup connaître votre opinion sur la question.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/ZgZLig
Référence neutre: [2013] ABD 73
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