mercredi 20 février 2013

Même le possesseur de mauvaise foi peut acquérir un immeuble par prescription

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Peut-on faire l'acquisition par prescription d'un immeuble même si l'on sait pertinemment bien que l'on en est pas le propriétaire? C'est la question à laquelle devait répondre l'Honorable juge Gérard Dugré dans Bourgeois c. Société Immobilière L'Assomption inc. (2013 QCCS 570).
 

La Demanderesse dépose des procédures en reconnaissance judiciaire d’un droit de propriété par prescription acquisitive visant un terrain situé sur le bord de la rivière L’Assomption. Elle allègue en avoir eu la possession paisible, continue, publique et non équivoque pendant plus de 10 ans.
 
La Défenderesse, même si elle ne conteste pas les prétentions factuelles de la Demanderesse, plaide qu'il n'a pu y avoir acquisition par prescription puisque la Demanderesse, de son propre aveu, savait que le terrain ne lui appartenait pas.
 
Après analyse de la question, le juge Dugré en vient à la conclusion que l'on peut acquérir par prescription même lorsque l'on sait ne pas être le propriétaire d'un immeuble. Cela n'empêche pas la possession paisible, continue, publique et non équivoque:
[27] Si la personne qui connaît son empiètement sur le terrain d’un tiers et celle qui l’ignore ne peuvent prescrire acquisitivement, on peut franchement s’interroger à quoi et à qui peuvent bien servir les règles régissant la prescription acquisitive, ce sur quoi il convient maintenant de s’attarder. 
[...] 
[31] Ainsi, de 1985 à 2007 inclusivement, la demanderesse a eu le corpuset l’animus nécessaires pour acquérir par prescription la partie du terrain sur laquelle elle a exercé les droits d’un propriétaire : art. 921 C.c.Q.  
[32] De surcroît, la possession exercée par la demanderesse avait les qualités nécessaires pour lui permettre d’acquérir une partie de ce terrain par prescription. À la lumière de la preuve, le Tribunal est convaincu que la possession de la demanderesse a été tout au long de cette période paisible,continue, publique et non équivoque.  
[33] La possession exercée sur une partie du terrain par madame Bourgeois a été, selon la preuve, paisible, c’est-à-dire qu’elle n’a pas été obtenue par la violence ou des menaces; elle a été continue, en ce sens que les actes posés par madame Bourgeois l’ont été régulièrement durant toute la période de 1985 à 2007; elle a été publique, puisqu’elle est manifestement exempte de clandestinité comme l’est habituellement la possession des immeubles; et elle a été non équivoque, c’est-à-dire certaine et exclusive. 
[34] L’expression « à titre de propriétaire » utilisée à l’art. 2918 C.c.Q. n’est pas une condition additionnelle pour prescrire acquisitivement. Elle réitère cependant (1) que le possesseur doit avoir le corpuset l’animus; (2) que sa possession doit être conforme aux exigences de l’art. 922 C.c.Q.; et (3) que c’est sa volonté – laquelle bénéficie d’ailleurs d’une présomption (art. 921 al. 2 C.c.Q.) –, et non sa connaissance ou sa croyance, qui importe pour lui permettre d’exercer les droits d’un possesseur. 
[35] Comme nous le verrons, la connaissance et la croyance influent certes sur la bonne foi du possesseur, mais même le possesseur de mauvaise foi peut acquérir un immeuble par prescription. 
[...] 
[42] Le procureur de la Société plaide que la demanderesse, sachant qu’elle occupait un terrain qui ne lui appartenait pas, n’était pas une possesseure, mais une simple détentrice du terrain. Elle n’a donc pas pu l’acquérir par prescription. 
[43] Le procureur de la demanderesse répond que cette connaissance de la demanderesse – qui n’est pas niée – a tout au plus affecté la bonne foi de la demanderesse. Or, puisque sous le C.c.Q., le possesseur d’un immeuble n’a plus à établir sa bonne foi, tant le possesseur de bonne foi que celui de mauvaise foi peuvent acquérir par prescription décennale : art. 2918 C.c.Q. 
[44] Après avoir analysé l’ensemble des dispositions législatives, de la jurisprudence et de la doctrine, le Tribunal conclut que le procureur de la demanderesse a raison. La connaissance que la demanderesse pouvait avoir de ne pas être propriétaire du terrain ne l’a pas empêchée d’être possesseure de celui-ci. Cette connaissance n’a pas non plus transformé la demanderesse en simple détentrice. Cette connaissance a tout au plus affecté sa bonne foi.  
[45] Or, sous le Code civil du Québec, le possesseur de mauvaise foi peut acquérir par prescription de 10 ans. Voici pourquoi.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/11VSRo6

Référence neutre: [2013] ABD 74

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