mardi 12 février 2013

La demande d'ordonnance contre une partie pour qu'elle ne commente pas publiquement les procédures judiciaires en cours est une demande d'injonction pour restreindre la liberté d'expression

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Même les lecteurs occasionnels de ce bloque savent à quel point je m'oppose à la possibilité d'obtenir des ordonnances ou injonctions interlocutoires limitant la liberté d'expression d'une personne. Respectueusement, ces ordonnances me semblent, dans la quasi totalité des cas, complètement injustifiables dans une société démocratique où la liberté d'expression occupe une place importante. Malheureusement pour moi, je ne suis ni législateur, ni juge, de sorte que mon opinion sur la question ne vaut essentiellement rien. Au minimum, les tribunaux québécois doivent appliquer les critères très exigeants pour l'émission d'une telle ordonnance interlocutoire, tels qu'élaborés par la Cour d'appel dans l'affaire Rawdon. C'est donc avec grande satisfaction que j'ai lu la décision de l'Honorable juge Claude Bouchard dans l'affaire Hammedi c. Cristea (2013 QCCS 442) où il refuse d'émettre une ordonnance interdisant à une partie de commenter publiquement des procédures judiciaires.
 

Dans le cadre de requêtes en dommages introduites par les Demandeurs, ceux-ci demandent à la Cour l'émission de certaines ordonnances, dont une ordonnance prohibant au Défendeur de commenter publiquement les procédures.

Fait particulier, le Défendeur ne conteste pas vraiment cette demande, se contentant de préciser que cette ordonnance ne doit pas l'empêcher de requérir le soutien et l'appui de personnes pour l'aider dans sa défense.

Nonobstant cette absence de contestation et avec raison selon moi, le juge Bouchard refuse d'émettre l'émission demandée. Il souligne à cet égard que cette ordonnance restreindrait la liberté d'expression du Défendeur et que cela ne peut avoir lieu sans que l'on rencontre les critères mis de l'avant dans l'affaire Rawdon, ce qui n'est pas le cas en l'espèce:
[7] Considérant par ailleurs que la demande de ne pas commenter publiquement la requête introductive d'instance est de la nature d'une ordonnance d'injonction, qu'il convient de traiter avec prudence, comme le souligne le juge André Rochon de la Cour d'appel dans l'arrêt Prud'homme c. Rawdon (Municipalité de):
«[61] En deuxième lieu, souligne-t-il, cette compétence sera exercée avec prudence. Elle sera réservée aux situations les plus claires et rares où le caractère diffamant ou injurieux des propos est évident et ne peut être justifié d'aucune façon. Encore là, l'ordonnance d'injonction ne sera prononcée que si la preuve établit, de façon prépondérante, que l'auteur a l'intention de récidiver.» 
«[62] Troisièmement, dans tous les cas, l'ordonnance doit viser des propos précis, et ce, pour deux motifs, d'abord, l'ordonnance en termes généraux qui interdit de diffamer a pour effet de porter indûment atteinte à la liberté d'expression et a nécessairement un effet de bâillon (Chilling effect) pour la personne visée.»
[8] Considérant que ces remarques du Juge Rochon s'appliquent au présent cas et qu'en l'espèce, le défendeur ne conteste pas comme telle cette demande d'interdiction de commenter publiquement la procédure introduite contre lui, sous réserve qu'il puisse solliciter l'appui et le soutien de personnes pour l'aider dans sa défense; 
[9] Considérant que le tribunal ne perçoit pas dans cette attitude une intention de récidiver de la part du défendeur et qu'il n'estime pas nécessaire de donner suite à l'ordonnance requise, laquelle est formulée de manière très large et équivaut à une demande d'interdiction totale de commenter le litige;
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/X0Rv5M

Référence neutre: [2013] ABD 61

Autre décision citée dans le présent billet:

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