Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Dans une chronique de juin dernier, j’attirais votre attention sur le fait
qu’un employé ne peut contractuellement renoncer d’avance à un préavis de
terminaison raisonnable en raison de l’article 2092 C.c.Q., lequel est une
disposition d’ordre public. Ainsi, je soulignais que la clause qui fixe d’avance
le préavis qui sera donné à un employé en cas de résiliation de son contrat
d’emploi sans motifs sérieux était inopposable à ce dernier. Or, comme l’ont
souligné certaines décisions récentes, ces clauses ne sont pas simplement
inopposables, mais elles sont néfastes pour l’employeur.
En effet, ces clauses sont considérées être à l’avantage exclusif de l’employé, de sorte que celui-ci peut les invoquer s’il le désire ou les ignorer s’il a droit à un préavis plus long que celui stipulé dans le contrat d’emploi. De plus, selon la Cour d’appel, de telles clauses peuvent être qualifiées de clauses pénales, de sorte que l’employé qui s’en prévaut n’aura pas l’obligation de minimiser ses dommages.
C’est dans l’affaire Walker c. Norcan Aluminium inc. (2012 QCCA 2042) que la Cour d’appel est récemment venue discuter du sujet. Dans cette affaire, les parties sont liées par un contrat d'emploi d'une durée de trois ans. Ce contrat comprend par ailleurs une clause par laquelle les parties stipulent qu'en cas de résiliation par l'employeur du contrat de travail sans cause, l'appelant aura droit à un préavis de trois (3 mois) et 50% de son salaire pour la durée restante du contrat.
L'intimée met effectivement fin à ce contrat sans cause et l'appelant intente des procédures judiciaires par lesquelles il réclame le montant prévu à la clause en question. Bien qu'elle en vienne à la conclusion qu'il s'agissait effectivement d'un congédiement sans cause, la juge de première instance Guylaine Beaugé n'accorde pas le montant réclamé par l'appelant au motif qu'il avait l'obligation de minimiser ses dommages. Puisque l'appelant s'est retrouvé un emploi peu après son congédiement, elle lui accorde la faible somme de 4 522,37 $.
La Cour d'appel, dans un jugement unanime rendu sous la plume du juge Pierre J. Dalphond, renverse cette décision.
D'abord, le juge Dalphond souligne l'existence de la jurisprudence à laquelle nous faisons référence en introduction quant à l’impossibilité pour l’employé de renoncer à l’avance à son préavis raisonnable, en plus de l’existence du devoir général pour l’employé de mitiger ses dommages:
[14] Afin de protéger l'employé, souvent en position de faiblesse par rapport à l'employeur, le législateur interdit une renonciation à l'avance par l'employé au droit à l'indemnité appropriée en cas de défaut de recevoir un délai-congé raisonnable (art. 2092 C.c.Q.). Cette protection vise tant la renonciation au droit à une indemnité que la détermination au moment du contrat d'un montant qui s'avère insuffisant.
[…]
[16] Par contre, l'ex-salarié sera tenu, comme tout cocontractant dont le contrat est terminé sans droit, de minimiser ses dommages. S'il se trouve un nouvel emploi, on devra tenir compte de ses nouveaux revenus. »
Cependant, le juge Dalphond indique que, dans
le cadre d'un contrat d’emploi rien n'empêche les parties de convenir d'une
clause pénale par laquelle les parties liquident les dommages. En l'instance, il
en vient à la conclusion que la clause pertinente ici est une telle clause.
Cette liquidation par les parties des dommages implique l'absence de devoir de
mitiger les dommages, de sorte que l'appelant pouvait, à bon droit, réclamer la
totalité du montant prévu:
[28] En vertu de l'art. 1623 C.c.Q., l'appelant peut se prévaloir de cette clause pénale sans avoir à prouver le préjudice subi, ce qui logiquement signifie que l'obligation de mitiger est alors inapplicable. Cela découle du caractère forfaitaire et péremptoire de la clause pénale. (Sur la nature de la clause pénale, voir : Jean-Louis Baudoin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 6ème éd. Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, no 901, p. 912-913).
[29] Il s'ensuit que l'appelant a droit à trois mois au plein salaire, soit 25 000 $, plus 50% du salaire pour la période restante du contrat à compter de la fin de ces trois mois, soit 128 278 $, pour un total de 153 278 $. »
La
conclusion du juge Dalphond selon laquelle la clause en question est une clause
pénale, accorde le meilleur des deux mondes à l'employé. Le créancier de
l'obligation (ici l'employé) a l'option d'invoquer la clause pénale ou de
rechercher l'exécution en nature (Groupe Ultima inc. c. Beaucage
Mercedem Assurances inc., 2009 QCCS 628). Ainsi, deux options s'offrent à
l'employé : (a) il peut invoquer la clause pénale et réclamer le montant qui y
est prévu sans que ne lui incombe le devoir de mitiger ses dommages ou (b) il
peut décider de ne pas invoquer la clause pénale et réclamer le paiement de son
salaire jusqu'à la fin du terme de son contrat d'emploi, dans quel cas il devra
cependant mitiger ses dommages.
La reconnaissance de la validité d'une
clause comme celle-ci n'emporte donc pas renonciation d'avance, de la part de
l'employé, à son droit d'obtenir un préavis raisonnable au sens de l'article
2092 C.c.Q. parce que l'employeur ne pourra forcer l'employé à appliquer la
clause en question.
Pour ce qui est des employeurs, cette décision
devrait fortement décourager l'inclusion de telles clauses dans les contrats
d'emploi à durée déterminée puisque celle-ci ne limite pas leur responsabilité,
mais elle accorde à l'employé un montant minimum en dommages.
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