mercredi 23 janvier 2013

Lorsqu'une caution garantie plusieurs créances et que le total des réclamations excède le montant de la caution, les créanciers seront payés au prorata de leur créance

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Il n'est pas habituel, dans les projets de construction, qu'une seule caution garantisse plusieurs créances différentes et que ces créances excèdent le montant de la caution. Dans l'affaire Compagnie d'assurance Jevco c. Distribution Brunet inc. (2013 QCCA 43), la Cour d'appel tranche la question à savoir comment est réparti le paiement à être effectué par la caution lorsque les réclamations faites excèdent le montant garanti.
 

Les faits de l'affaire en l'instance importent peu pour nos fins. Comme l'indique la Cour, la question centrale à trancher est la suivante:
Quels sont les droits des créanciers à l'égard d'une caution garantissant plusieurs créances dont la somme dépasse la valeur de la caution?
Ici, le juge de première instance en est venu à la conclusion que l'Intimée avait droit au paiement de 100% de sa créance nonobstant le fait que les créances déjà déposées accédaient de beaucoup le montant maximal du cautionnement, appliquant en quelque sorte le principe du "premier arrivé, premier servi". L'Appelante fait valoir que la distribution devrait plutôt se faire au prorata.

La Cour d'appel (les Honorables juges Morissette, Hilton et St-Pierre) donne raison à l'Appelante dans un jugement unanime. En effet, conformément aux décisions rendues antérieurement sur la question, c'est au prorata que les créanciers devront être payés dans une telle situation:
[4] Jevco et les intervenantes soutiennent que le juge a erré en écartant le jugement de la Cour supérieure et l'arrêt de cette Cour dans Société des traversiers du Québec. Ceux-ci permettraient selon elles de disposer du pourvoi. 
[5] Avec égards pour le premier juge, Jevco et les intervenants ont raison. 
[6] Dans cette affaire, la Société des traversiers du Québec avait accordé à Constructions ELS Maritime inc. un contrat pour l'exécution de travaux sur des installations portuaires situées dans la Ville de Godbout sur la Côte-Nord. Selon ce contrat, ELS devait fournir une garantie pour le paiement des gages, matériaux et services laquelle pouvait prendre la forme d'un cautionnement ou d'un chèque visé à l'ordre de la Société. ELS a choisi cette deuxième option. 
[7] Comme c'est le cas en l'espèce avec MHJ Excavation, ELS a fait faillite et la somme des réclamations a dépassé le montant de la garantie. La Société a donc déposé une requête en jugement déclaratoire afin que la Cour détermine si elle était justifiée de payer les différents créanciers au prorata de leurs créances. Une caisse populaire a obtenu la permission d'intervenir, puisqu'elle prétendait que la somme déposée auprès de la Société était sa propriété en vertu de deux hypothèques mobilières grevant l'universalité des créances de ELS. 
[8] En Cour supérieure, la juge Dutil, a qualifié la garantie d'hypothèque légale avec dépossession et a conclu au partage au prorata. Elle écrit :
En l'espèce, la Société détient le montant de 85 820 $ pour les créanciers des obligations contractées par ELS Maritime. Le seul usage qu'elle peut faire de cet argent est de payer les créanciers ayant donné un avis écrit de leur créance.
La difficulté, pour la Société, résulte du fait que la somme détenue est largement insuffisante pour couvrir entièrement les réclamations des 16 créanciers. Elle ne veut pas être tenue de combler la différence.
Le Tribunal est d'opinion qu'il y a lieu de déclarer que la Société devra payer les créanciers au prorata de ce qui leur est dû par rapport à l'ensemble des réclamations.
[Soulignage ajouté.]
[...]        
[10] En appel, la Cour, pour les motifs du juge Forget, rejette l'appel de la Caisse populaire et confirme le dispositif au jugement de la juge Dutil. 
[11] Dans Société des traversiers du Québec c. Produits d'acier Écan inc., un autre arrêt unanime rendu par la même formation la même journée dans un dossier connexe, un sous-entrepreneur (Produits d'acier Écan inc.) poursuivait directement la Société des traversiers, comme dans ce cas Distribution Brunet poursuit directement Jevco. Le juge Forget aborde explicitement la question en litige en l'espèce :
[27] La somme de 85 820 $ déposée entre les mains de la S.T.Q., ne fait plus partie du patrimoine de E.L.S. Invoquer la déconfiture de cette dernière n'ajoute rien au débat et ne confère aucun droit supplémentaire aux salariés et aux fournisseurs de biens et de services. E.L.S. s'est placée sous la protection de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité6 et ce sont les dispositions particulières de cette loi qui détermineront les droits des créanciers chirographaires. 
[28] La S.T.Q. n'a pas à alléguer qu'elle est en déconfiture puisque tel n'est évidemment pas le cas. 
[29] Écan comme tous les autres créanciers, ne peut exercer ses recours contre le patrimoine général de la S.T.Q., mais doit se limiter à faire valoir ses droits contre un patrimoine d'attribution. Tel serait d'ailleurs le cas en matière de cautionnement si les réclamations étaient supérieures au montant convenu au contrat de cautionnement. Il ne serait alors être question d'alléguer que la caution est en déconfiture, mais il suffirait de constater que les réclamations excèdent le montant convenu au contrat de cautionnement pour conclure à un paiement au prorata
[Soulignage ajouté, références omises.]
[12] Cet énoncé suffit pour accueillir le pourvoi.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/11RJN2n

Référence neutre: [2013] ABD 33

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