lundi 28 janvier 2013

L’incapacité de travailler consécutive à un geste fautif constitue une perte de nature capitale et non pas une perte de revenus de sorte que l'on a pas à amputer le montant accordé en dommages de l'impôt qui aurait autrement été prélevé

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Dans la très récente affaire de Clément c. Painter (2013 QCCA 99), la Cour d'appel devait trancher la question de savoir si le calcul de l'indemnité destinée à compenser le préjudice corporel subi au moment de l'instruction devait tenir compte de l'impôt sur le revenu que la victime aurait payé, n'eût été l'événement à l'origine de la blessure. À cette question, la Cour répond par la négative.
 

Depuis quelques années, une certaine controverse existe au sein des tribunaux québécois à propos du montant à accorder à titre de dommages pour la compensation du préjudice corporel. En effet, certains supportent la thèse voulant que l'on doit soustraire du montant des dommages la somme que la partie demanderesse aurait payée en impôt sur le revenu, alors que d'autres sont de l'opinion contraire.
 
Dans cette affaire, la juge de première instance s'est rangée dans le premier camp. La Cour d'appel intervient par ailleurs pour renverser ce jugement. Au nom de la Cour, l'Honorable juge François Pelletier indique:
[16] Depuis quelque temps, cette question divise la Cour supérieure alors que plusieurs juges, adhérant en cela à la thèse défendue par le professeur Gardner, estiment que l'enseignement de la Cour suprême en la matière ne peut recevoir application sous l'empire du Code civil. À l'instar de la juge Mandeville dans le dossier à l'étude, ils amputent l'indemnité pour perte de gains d'un montant représentant ce qu'ils estiment être la part que les autorités fiscales auraient prélevée s'il s'était agi de revenus provenant d'un travail. D'autres, toutefois, continuent à mettre en application l'enseignement de la Cour suprême. 
[17] Trois dossiers, incluant celui-ci, soulèvent la question en appel. Dans l’affaire Wilson Davies c. Montréal (Ville de), la Cour vient tout juste de trancher. Aux termes de motifs élaborés ayant reçu l’aval des autres membres de la formation, le juge Rochon conclut que la thèse du professeur Gardner, aussi séduisante soit-elle, entre en conflit direct avec la ligne de conduite dictée de façon constante et répétée par la Cour suprême depuis cinq décennies. Selon lui, les distinctions avancées pour prétendre que cette ligne de conduite ne s’applique pas en droit civil québécois ne tiennent pas la route. 
[18] Je suis en parfait accord avec les motifs du juge Rochon et je les fais miens dans le cas à l’étude. Faute de pouvoir conclure à la non-application de l’enseignement de la Cour suprême dans un cas de figure particulier, les tribunaux inférieurs sont tenus de s’y conformer. Il y va de l’uniformité des rapports juridiques entre personnes assujetties à une même règle de droit.  
[19] Au demeurant, la thèse retenue par la Cour suprême me paraît pouvoir s’inscrire dans une approche traditionnelle du droit civil qu’on ne saurait assimiler à une hérésie. Il n’est certes pas faux d’affirmer que l’incapacité de travailler consécutive à un geste fautif constitue une perte de nature capitale et non pas une perte de revenus. C’est en réalité l’étendue de ce préjudice que l’on cherche à mesurer à l’aune des revenus qui auraient été gagnés, n’eût été l’événement causal à l’origine de l’incapacité. Il faut aussi prendre en compte que l’action de l’État consistant à taxer les gains provenant du travail n’intervient qu’une fois les gains réalisés ou réputés réalisés, et cette action constitue un geste autonome obéissant à des règles qui lui sont propres. On ne peut parler de revenus nets qu’une fois connus les gains réels, lesquels ne peuvent correspondre qu’aux revenus bruts. L’action de l’État est à la fois postérieure au préjudice et, en principe tout au moins, étrangère aux règles fondamentales qui régissent la responsabilité civile extracontractuelle, soit la faute, le préjudice – ici une perte de nature capitale – et le lien de causalité qui les réunit. Or il se révèle que la règle fiscale s’appliquant à l’indemnité de remplacement diffère de celle gouvernant les revenus provenant du travail. L’État a fait le choix de donner un congé fiscal à l’indemnité de remplacement du revenu, et pareil choix favorise à première vue le contribuable assujetti à l’impôt et non l’auteur du préjudice. 
[20] C’est le caractère inéluctable de la taxation sur le revenu provenant du travail qui fonde le raisonnement proposé par le professeur Gardner. Cette approche est sans nul doute attrayante, notamment en ce qu’elle colle au vécu, mais elle n’est pas la seule à pouvoir résister à l’analyse. Tout comme le juge Rochon, je suis d’avis qu’il n’appartient qu’à la Cour suprême de revoir la question, si toutefois elle le juge approprié.  
[21] En l'espèce, je suis donc d’avis que la juge aurait dû établir l’indemnité de remplacement du revenu à 67 292 $, comme le réclame l’appelant dans son inscription en appel. Ce changement a pour effet de porter à 100 458,39 $ le montant total de la condamnation en sa faveur.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/1165MT5

Référence neutre: [2013] ABD 39

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