mercredi 16 janvier 2013

Le lieu de résidence n'est pas un motif analogue au sens de l'article 15 (1) de la Charte canadienne

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Lorsqu'une personne allègue discrimination au sens de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, la Cour doit d'abord déterminer si la raison de cette discrimination est soit énumérée dans cette article ou est analogue à un desdits motifs énumérés. C'est un exercice qui n'est pas toujours simple. Dans sa récente décision de Droit de la famille - 139 (2013 QCCA 15), la Cour d'appel devait déterminer si le lieu de résidence d'une personne est un motif de discrimination qui enclenche la protection de l'article 15 de la Charte. La Cour répond à cette question par la négative.


Dans cette affaire, la Cour est saisi d'un pourvoi visant à déterminer si le Décret désignant la province de Québec pour l'application de la définition de « lignes directrices applicables » au paragraphe 2(1) de la Loi sur le divorce contrevient au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés.
 
Saisie d'une requête pour jugement déclaratoire sur la question, la juge de première instance en était venue à la conclusion que les lignes directrices québécoises relatives aux pensions alimentaires pour enfants sont discriminatoires, mais elle  n'a pas invalidé celle-ci pour autant jugeant que l'article 1 de la Charte canadienne justifie cette atteinte à un droit constitutionnel.
 
C'est un banc de cinq juges de la Cour d'appel qui se penche sur la question. Les Honorables juges Duval Hesler, Thibault, Dutil, Kasirer et Bouchard en viennent à la conclusion que l'appel doit être rejeté. Or, bien qu'ils confirment le dispositif du jugement de première instance, ils le font pour une raison différente puisqu'ils sont d'opinion que le lieu de résidence n'est pas un motif analogue aux motifs de discrimination énumérés à l'article 15 (1) de la Charte canadienne. Ainsi, les mères québécoises ne subissent pas de discrimination au sens de la Charte:
[49] À sa face même, force est de constater que le lieu de résidence d'une personne n'est pas un motif énuméré au paragraphe 15(1). S'agit-il d'un motif analogue comme la Cour suprême l'a reconnu pour la citoyenneté, le statut matrimonial ou encore l'orientation sexuelle? Rien n'est moins sûr. 
[50] Avant de répondre à cette question, la Cour croit à propos de noter que les appelantes allèguent dans leur requête pour jugement déclaratoire que les lignes directrices québécoises créent à l'égard de leurs enfants un traitement défavorable par rapport aux enfants de parents divorcés vivant dans le reste du Canada. La juge de première instance a, pour sa part, identifié les mères monoparentales divorcées vivant au Québec comme s'il s'agissait du groupe victime de discrimination. Lors de l'audience devant notre cour, c'est la « dyade » mère-enfant qui est tout d'abord mise de l'avant comme élément central de l'analyse en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte. Puis, pressée de questions par les membres de la formation, l'avocate des appelantes concède que l'analyse doit plutôt porter sur la situation du parent gardien, sans égard à son sexe, en tant qu'unité économique désavantagée par les lignes québécoises. 
[51] De l'avis de la Cour, peu importe le groupe de comparaison retenu. Dans la mesure où le motif de distinction demeure le même, soit le lieu de résidence, ceci nous ramène inéluctablement à la case départ : s'agit-il d'un motif analogue à ceux énumérés au paragraphe 15(1) de la Charte?
[52] De façon constante, les tribunaux ont répondu par la négative à cette question bien que la Cour suprême ait fait preuve de prudence dans R. c. Turpin en mentionnant, à titre d'obiter dictum, que la province de résidence pourrait être un motif de discrimination dans certaines circonstances particulières. [...] 
[...]  
[58] Certes, le fait d'être mère monoparentale en instance de divorce ou divorcée est une situation où la liberté de choix de cette dernière de fixer sa résidence comme bon lui semble est réduite dans bon nombre de cas pour ne pas éloigner les enfants de leur père. Cette situation n'a cependant rien à voir avec celle, immuable, des autochtones vivant hors réserve qui « ne peuvent devenir des membres habitant la réserve qu'à un prix considérable, si tant est qu'ils le peuvent ». 
[59] Il ressort des arrêts de la Cour suprême mentionnés et discutés précédemment que le lieu de résidence n'a pas été considéré comme un motif analogue parce qu'il ne s'agit pas d'une « caractéristique personnelle qui est soit immuable, soit modifiable uniquement à un prix inacceptable du point de vue de l'identité personnelle » comme le sont la race, l'origine ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques qui sont les motifs énumérés au paragraphe 15(1) de la Charte.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/11xZJqr

Référence neutre: [2013] ABD 23

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