lundi 10 décembre 2012

L'ignorance d'un droit n'équivaut pas à impossibilité d'agir

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Nous en traitions déjà en janvier 2011 (voir le billet en question ici: http://bit.ly/U5bkp3), mais le principe vaut la peine d'être réitéré en raison de son importance. Contrairement à la croyance de certains, la prescription court nonobstant l'ignorance par une partie de ses droits. En effet, comme le souligne l'Honorable juge Johanne Mainville dans Deschênes c. Valeurs mobilières Banque Laurentienne inc. (2012 QCCS 6148), c’est l’ignorance des faits fautifs qui entraîne la suspension de la prescription et non l'ignorance d’un recours qui découle de faits connus.
 

Dans cette affaire, la Demanderesse réclame de la Défenderesse la somme de 300 000 $ et les intérêts légaux applicables à titre de paiement de la valeur des actifs sous gestion dont la Défenderesse se serait appropriée illégalement. Elle demande de plus que les Défendeurs soient condamnés conjointement et solidairement à lui payer 50 000 $ en dommages moraux et atteinte à ses licences professionnelles et 100 000 $ en dommages exemplaires.
 
Les Défendeurs font valoir que le recours intenté par la Demanderesse est prescrit, puisque introduit plus de trois ans après que les évènements allégués se soient produits.
 
La Demanderesse rétorque qu'elle était dans l'impossibilité d'agir puisque ce n'est que lorsque que le tribunal administratif devant lequel elle avait formulé une réclamation indique qu'il n'a pas compétence pour trancher sa réclamation qu'elle se tourne vers les tribunaux judiciaires.
 
Après analyse, la juge Mainville en vient à la conclusion que la position juridique de la Demanderesse est erronée. Même en acceptant que cette dernière ne savait pas qu'elle pouvait s'adresser à la Cour supérieure, il s'agirait là d'une erreur de droit qui ne peut constituer une impossibilité d'agir:
[27] Après analyse de la preuve et du droit, le Tribunal estime que le présent recours est prescrit pour les raisons suivantes. 
[28] Deschênes plaide que son recours est de nature civile et est ainsi distinct de ses recours intentés devant la CNT. Comme elle réclame la valeur des actifs sous gestion dont elle prétend avoir la propriété, il faut dès lors déterminer la date où son droit à l'indemnisation s'est cristallisé, si tant est qu’il existe. 
[29] L'article a un 2880 C.c.Q. prescrit que « [l]e jour où le droit d'action a pris naissance fixe le point de départ de la prescription extinctive ». Or, comme le rappelle la Cour d'appel dans un jugement récent « la jurisprudence établit sans ambiguïté que le point de départ de la prescription extinctive est le premier moment où le titulaire du droit aurait pu prendre action pour le faire valoir ». 
[30] La prescription d’une action judiciaire ne peut commencer à courir avant que naisse le droit d’y recourir. Toutefois, l’ignorance d’un droit ne constitue pas une impossibilité d’agir. La Cour d’appel enseigne que c’est l’ignorance des faits fautifs qui entraine la suspension de la prescription et non l'ignorance d’un recours qui découle de faits connus. La connaissance de l'existence d'un recours, alors que les faits pouvant donner ouverture à un recours étaient connus ne suspend pas la prescription.  
[31] Il est clair de la preuve que Deschênes connaissait tous les faits nécessaires pour lui permettre de savoir qu’elle avait un recours, dès le 16 juin 2003, date de son congédiement.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/SWS6TZ

Référence neutre: [2012] ABD 450

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