jeudi 6 décembre 2012

La fin du first to file en matière de recours collectif? Pas encore

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Lundi dernier, la Cour d'appel a rendu sa décision tant attendue dans l'affaire Schmidt c. Johnson (2012 QCCA 2132), où elle s'est prononcée sur l'opportunité de renverser ou modifier la règle qu'elle avait mise de l'avant dans l'affaire Hotte c. Servier (1999 CanLII 13363) pour régler les difficultés engendrées par la multiplicité de requête en autorisation pour instituer un recours collectif concurrentes. Même si la Cour est venue quelque peu tempérer la règle de ce qu'on appelle communément le "first to file", elle a décidé de conserver cette règle à titre de principe général.
 

La question n'est pas simple du point de vue pratique. La règle élaborée dans l'affaire Hotte, à l'effet que c'est la première requête en autorisation à être déposée qui va de l'avant, amène certes son lot d'inconvénients (le plus important étant certes la "course au palais"créée pour certains dossiers), mais elle a également les avantages d'être simple en application et d'éviter d'interminables, couteux et difficiles débats sur la requête qui devrait aller de l'avant.
 
Reconnaissant le fait que la "course au palais" pouvait causer préjudice aux membres du groupe (les requêtes rédigées le plus rapidement possible étant parfois moins que parfaites), la Cour a choisi de tempérer légèrement la règle mis de l'avant dans Hotte. Reste que, avec raison selon moi, la Cour a décidé de conserver la règle en question. Celle-ci s'appliquera donc de manière intégrale dans la grande majorité des cas.
 
En effet, la Cour a décidé de reconnaître la discrétion, pour le juge de première instance, dans des circonstances que je considère exceptionnelles, de mettre de côté la préséance de la première requête déposée lorsqu'il en va de la protection de l'intérêt des membres et qu'il semble s'agir d'un abus de la règle de Hotte:
[47] Comme plusieurs autres auteurs, ils soulignent que, dans le cadre d'un recours collectif, le juge a un rôle de protection des intérêts des membres absents et ils proposent l'adoption d'une approche intermédiaire. 
[48] À mon avis, c'est l'approche que cette Cour doit désormais favoriser, soit la deuxième des options décrites précédemment. Aller plus loin et retenir l'option de la Carriage Motion constitueraient un virage trop important, dont on ne me démontre pas à ce jour les avantages. D'ailleurs, aucune des parties devant nous ne le propose. 
[49] Il s'ensuit que le juge De Grandpré n'a pas commis d'erreur de droit en affirmant que « [l]e tribunal n'a pas à appliquer aveuglément le principe ou la règle du “First to file” » (paragr. 9) et en soutenant que le tribunal « a le devoir de veiller à ce que les intérêts de toutes les personnes représentées soient adéquatement protégés » (paragr. 11). Par contre, dans son analyse, il me semble trop comparer les deux requêtes en autorisation et le comportement des avocats qui les mettent de l'avant, ce qui le rapproche dangereusement d'un Carriage Hearing. 
[50] À mon avis, les effets pervers décriés plus haut tiennent d'un détournement de la finalité de la règle Servier. Cependant, ceux-ci pourraient possiblement être contrés par une application souple de la règle Servier se traduisant comme suit :
- la première requête déposée au greffe est, en principe, celle qui sera entendue en priorité; 
- les requêtes subséquentes sont, entre-temps, suspendues et ne seront entendues, dans l'ordre de dépôt, que si la précédente est rejetée; 
- la préséance dont jouit la première requête peut faire l'objet d'une remise en question par les avocats responsables des requêtes subséquentes; et 
- celui qui conteste la préséance a le fardeau d'établir que la requête qui en bénéficie n'est pas mue dans le meilleur intérêt des membres putatifs, mais constitue plutôt un abus de la règle Servier.
[51] La démonstration que la première requête n'est pas mue dans le meilleur intérêt des membres putatifs doit être faite à partir d'éléments propres à la requête contestée et non par une démonstration de la supériorité de la qualité de la requête concurrente, du représentant proposé ou des avocats qui la mettent de l'avant. Il ne s'agit pas d'une joute entre deux cabinets d'avocats à la recherche d'honoraires ou entre deux organisations à la recherche de publicité. 
[52] Ainsi, est admissible la démonstration que la première requête déposée au greffe souffre de graves lacunes, que les avocats qui en sont les responsables ne s'empressent pas de la faire progresser, qu'ils ont déposé des procédures similaires ailleurs au Canada, et ce, pour les mêmes membres putatifs, etc., c'est-à-dire des indices que les avocats derrière la première procédure tentent uniquement d'occuper le terrain et ne sont pas mus par le meilleur intérêt des membres putatifs québécois. 
[53] Lorsque la première requête est de qualité acceptable et que les avocats qui la mettent de l'avant démontrent leur volonté de faire progresser le dossier dans les meilleurs délais, la règle du premier qui dépose devrait prévaloir pour éviter un débat long et coûteux comme il peut y en avoir dans le reste du Canada sur la meilleure des procédures, avec tout l'aspect subjectif, voire aléatoire, que cela peut représenter.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/YVhOgD

Référence neutre: [2012] ABD 446

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