jeudi 22 novembre 2012

Le demandeur en diffamation doit établir que le caractère diffamatoire des propos tenus à son égard et la faute de la partie défenderesse

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

C'est à tort que certains soumettent que, dans des procédures en diffamation, l'établissement que les propos prononcés par la partie défenderesse sont diffamatoires entraîne nécessairement la conclusion qu'il y a faute civile. En effet, en plus de caractère diffamatoire des propos, il faut prouver la faute comme le souligne l'Honorable juge Georges Taschereau dans Équipe Labeaume c. Syndicat des fonctionnaires municipaux de Québec (2012 QCCS 5713).
 

Dans cette affaire, les Demandeurs intentent des procédures judiciaires en diffamation contre les Défendeurs, suite à la tenue de propos tenus lors d'une conférence de presse.

Dans le cadre de son analyse de l'affaire, le juge Taschereau fait le survol des principes applicables en matière de diffamation et souligne que la partie demanderesse doit prouver la nature diffamatoire des propos et la faute commise par la partie défenderesse:
[10] Génériquement, a écrit M. le juge LeBel en 1994, alors qu'il était à la Cour d'appel, la diffamation consiste dans la communication de propos ou d'écrits qui font perdre l'estime ou la considération de quelqu'un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables. Elle implique une atteinte injuste à la réputation d'une personne par le mal que l'on dit d'elle ou la haine, le mépris ou le ridicule auxquels on l'expose. 
[11] La Cour suprême du Canada a confirmé dans Prud'homme c. Prud'homme que la nature diffamatoire des propos s'analyse selon une norme objective. D'après les juges L'Heureux-Dubé et LeBel, il faut, en d'autres termes, se demander si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation d'un tiers. À cet égard, poursuivent-ils, il convient de préciser que des paroles peuvent être diffamatoires par l'idée qu'elles expriment explicitement ou encore par les insinuations qui s'en dégagent. Les juges L'Heureux-Dubé et LeBel réfèrent par la suite le lecteur à la décision de notre Cour dans Beaudouin c. La Presse ltée où, selon eux, le juge Sénécal résume bien la démarche à suivre pour déterminer si certains propos révèlent un caractère diffamatoire:
«La forme d'expression du libelle importe peu; c'est le résultat obtenu dans l’esprit du lecteur qui crée le délit». L'allégation ou l’imputation diffamatoire peut être directe comme elle peut être indirecte «par voie de simple allusion, d’insinuation ou d'ironie, ou se produire sous une forme conditionnelle, dubitative, hypothétique». Il arrive souvent que l'allégation ou l’imputation «soit transmise au lecteur par le biais d'une simple insinuation, d'une phrase interrogative, du rappel d'une rumeur, de la mention de renseignements qui ont filtré dans le public, de juxtaposition de faits divers qui ont ensemble une semblance de rapport entre eux». 
Les mots doivent d'autre part s'interpréter dans leur contexte. Ainsi «il n'est pas possible d’isoler un passage dans un texte pour s'en plaindre, si l’ensemble jette un éclairage différent sur cet extrait». À l’inverse «il importe peu que les éléments qui le composent soient véridiques si l’ensemble d'un texte divulgue un message opposé à la réalité». On peut de fait déformer la vérité ou la réalité par des demi-vérités, des montages tendancieux, des omissions, etc. «II faut considérer un article de journal ou une émission de radio comme un tout, les phrases et les mots devant s'interpréter les uns par rapport aux autres».
[12]   Cette démarche au-delà de l'allégation ou de l'imputation diffamatoire directe s'im-pose parce que, en définitive, une insinuation, une ironie, une hypothèse, un doute, une supposition, un sous-entendu peuvent avoir un effet aussi dévastateur qu'une affirmation sur la réputation d'une personne et sur l'estime ou la confiance du public en elle. 
[13] La diffamation entraîne la responsabilité de son auteur pour le préjudice subi par la victime et son obligation de la réparer lorsqu'il y a faute. La règle générale énoncée à l'article 1457 C.c.Q. s'applique en effet à la diffamation:
1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui. 
Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel. 
[…]
[14] Selon J.L. Baudouin et P. Deslauriers, la faute peu résulter de deux genres de conduite. La première est celle où le défendeur, sciemment, de mauvaise foi, avec intention de nuire, s'attaque à la réputation de la victime et cherche à la ridiculiser, à l'humilier, à l'exposer à la haine ou au mépris du public ou d'un groupe. La seconde résulte d'un comportement dont la volonté de nuire est absente, mais où le défendeur a, malgré tout, porté atteinte à la réputation de la victime par sa témérité, sa négligence, son impertinence ou son incurie. Les deux conduites donnent ouverture à responsabilité et droit à la réparation sans qu'il existe de différence entre elles sur le plan du droit. En d'autres termes, concluent-ils, il convient de se référer aux règles ordinaires de la responsabilité civile et d'abandonner résolument l'idée fausse que la diffamation est seulement le fruit d'un acte de mauvaise foi emportant intention de nuire.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/RX0zGx

Référence neutre: [2012] ABD 426

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