dimanche 4 novembre 2012

Dimanches rétro: la retenue quant à l'utilisation en droit civil des précédents de common law

par Samuel Grondin
Étudiant, Université de Sherbrooke

En matière de jugements classiques, les enseignements du juge Mignault dans Desrosiers v. The King (remontant à 1920) sont toujours, presqu’un siècle plus tard, pertinents. Si au cours de l’histoire juridique canadienne, le droit civil et la common law ont tous deux évolués l’un par rapport à l’autre et se sont quelque peu influencés de sorte que des concepts inhérents au droit anglais ont été empruntés et importés en droit civil à l'occasion, cette pratique a toutefois été largement freinée par la Cour suprême du Canada en 1920. En effet, elle a alors pris soin de souligner clairement le fait que le droit civil constitue un système complet par lui-même qui devait s’interpréter d’après ses propres règles.
 

Cité à nouveau dans le jugement Rubis c. Gray Rocks Inn Ltd., (1982 1 R.C.S. 452), ce principe a été souvent appliqué dans les cas où des précédents provenant de common law ont été plaidé devant les tribunaux québécois. Dans cette affaire, il s’agissait d’une malencontreuse chute dont les circonstances ont engendré un débat sur la notion de piège. Or, à cet effet, les catégories d'invitee, licensee et de trespasser de la common law ont été plaidés, laissant le soin à la Cour suprême de rappeler le passage suivant :
Nous n'avons pas à décider quel devrait être notre jugement si nous appliquions la Common Law. Les précédents de la Common Law ne sont d'aucune utilité dans la présente affaire et il faut leur appliquer ce que le juge Mignault écrivait dans Desrosiers v. The King, (1920) 60 R.C.S. 105 à la p. 126:
Il me semble respectueusement qu'il est temps de réagir contre l'habitude de recourir, dans les causes de la province de Québec, aux précédents du droit commun anglais, pour le motif que le code civil contiendrait une règle qui serait d'accord avec un principe du droit anglais. Sur bien des points, ... le code civil et le common law contiennent des règles semblables. Cependant le droit civil constitue un système complet par lui-même et doit s'interpréter d'après ses propres règles. Si pour cause d'identité de principes juridiques on peut recourir au droit anglais pour interpréter le droit civil français, on pourrait avec autant de raison citer les monuments de la jurisprudence française pour mettre en lumière les règles du droit anglais. Chaque système, je le répète, est complet par lui-même, et sauf le cas où un système prend dans l'autre un principe qui lui était auparavant étranger, on n'a pas besoin d'en sortir pour chercher la règle qu'il convient d'appliquer aux espèces bien diverses qui se présentent dans la pratique journalière.
Il s’agit là de la première affirmation de la summa divisio entre les régimes juridiques de common law et de droit civil.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/S5LpNj
 
Référence neutre: [2012] ABD Rétro 4

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