jeudi 11 octobre 2012

On assiste déjà à la remise en question des décisions du juge unique sur la permission d'en appeler de jugements interlocutoires

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Le 1er août dernier, j'attirais votre attention sur la décision rendue par la Cour d'appel dans l'affaire Elitis Pharma où la majorité (l'Honorable juge Dalphond étant dissident) en venait à la conclusion qu'il est toujours possible lors d'un appel au fond sur un jugement interlocutoire de plaider que la partie Appelante n'aurait pas dû obtenir la permission d'en appeler, nonobstant la décision du juge unique sur cette même permission (voir notre billet ici: http://bit.ly/OrddhA). J'émettais alors l'opinion que ce résultat n'était pas souhaitable et qu'il entraînerait trop souvent une reprise du débat déjà fait au stade de la permission d'en appeler. Or, les plaideurs n'ont pas perdu de temps à mettre les enseignements de la Cour d'appel en pratique, de sorte que l'on voit déjà des causes où la partie intimée remet en cause le bien-fondé du jugement sur la question, dont l'affaire Roxon Medi-Tech Ltd. c. Philips Électronique ltée (2012 QCCA 1804).


Dans cette affaire, le juge de première instance, d'opinion que la connexité requise entre une action sur compte et une demande reconventionnelle en dommages, fondée sur la rupture d'un contrat et la perte de profits en découlant, fait défaut, accueille la requête en rejet de ladite demande reconventionnelle.
 
L'Appelante obtient la permission d'en appeler et le jugement dont nous traitons ici est rendu sur le fond de l'appel.
 
Un banc unanime composé des honorables juges Bich, Léger et Fournier accueille l'appel. En effet, tant le degré de connexité que la règle de la proportionnalité édictée à l'article 4.2 C.p.c. convainquent le banc que l'appel est bien fondé:
[4] Or, en l'espèce, vu le contexte global des liens d'affaires tissés entre les parties au fil des ans et les circonstances dans lesquelles l'intimée a été amenée à rompre abruptement le contrat de distribution, il est difficile de comprendre, faute de motifs plus détaillés, comment et en quoi il peut être dit que les deux recours ne sont pas, à tout le moins, connexes, selon le sens qu'il faut donner à ce terme, tel qu'expliqué par notre Cour dans l'arrêt Henderson:
[...]
[5] En outre, compte-tenu que la règle de la proportionnalité dictée à l'article 4.2 « irrigue » l'ensemble du Code de procédure civile, il tombe sous le sens que les ressources judiciaires seront mieux mises à profit si les deux recours sont entendus simultanément.
La Cour se penche finalement sur l'argument proposé par l'Intimée, lequel est basé sur l'arrêt rendu dans l'affaire Elitis Pharma, à l'effet que la permission n'aurait pas dû être accordée. Heureusement pour l'Appelante, la Cour est d'opinion qu'il s'agit bel et bien ici d'un jugement auquel le jugement au fond ne pourrait remédier:
[6] Dans un autre ordre d'idée, notons qu'il n'y a pas lieu d'appliquer ici l'enseignement de l'arrêt Elitis Pharma inc., puisque, dans les circonstances, la décision du juge de première instance a indirectement l'effet de priver l'appelant d'un moyen rattaché à sa défense, ce qui constitue un préjudice irrémédiable au sens de l'article 29 C.p.c.
Commentaire

Respectueusement, je pense que cette affaire illustre parfaitement bien la difficulté et, surtout, le manque de proportionnalité qu'engendre la règle posée dans Elitis Pharma. Ici, l'Appelante a obtenu la permission d'en appeler et un banc unanime de la Cour est d'opinion que le jugement de première instance était mal fondé. Cela doit suffire.

Imaginons que la Cour en était ici venue à la conclusion qu'il ne s'agissait pas d'un jugement irrémédiable au sens de l'article 29 C.p.c. et qu'elle avait rejetée l'appel pour cette raison. Il s'en suivrait les conséquences suivantes: (1) l'Appelante aurait perdu son appel nonobstant la conclusion de la Cour que le jugement attaqué était mal fondé et (2) elle aurait dépensé des milliers de dollars à préparer et plaider un appel pour qu'on lui dise finalement que, bien qu'elle avait raison, la permission n'aurait pas dû lui être accordée.

Le processus de permission d'en appeler est un mécanisme de filtrage qui perd en grande partie son sens si la décision rendue à cette étape peut être remise en question sur le fond de l'appel. Pour cette raison, je ne peux qu'espérer que la Cour revienne ultérieurement sur la décision rendue dans Elitis Pharma ou qu'elle en limite l'application aux cas extrêmes.

Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/Q25LFL

Référence neutre: [2012] ABD 366
Autre décision citée dans le présent billet:
1. .

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