mardi 9 octobre 2012

Lorsque les parties assujettissent la formation d'un contrat à une forme solennelle, cette forme est nécessaire pour conclure à la formation du contrat

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

La règle générale stipule que le contrat se forme par le simple échange de consentement entre les parties. Cette règle connaît deux exceptions importantes: d'abord, lorsque la loi prévoit une forme particulière et, ensuite, lorsque les parties elles-même se sont entendues sur une forme solennelle. C'est ce que rappelle la Cour dans l'affaire Thériault c. Placements Bitumar Inc. (2012 QCCS 4533).
 

Dans cette affaire, la Cour est saisie d'une requête par laquelle les Défendeurs demandent d'homologuer une transaction qui serait intervenue le 20 juin 2011 lors d'une rencontre avec la Défenderesse. Cette entente alléguée est verbale.
 
L'Honorable juge Jean-Yves Lalonde en vient à la conclusion que les parties, lors de leurs discussions, ont assujetties la conclusion d'une transaction à ce qu'un écrit soit signé. Or, il indique que le droit québécois donne préséance à la volonté des parties en la matière, de sorte qu'en l'absence d'un écrit signé, on ne peut conclure à l'existence d'un contrat:
[20] S'appuyant sur l'opinion du juge Turgeon, j.c.a., dans l'arrêt Prudential Alarm Systems Ltée c. Yaffe, le juge Robert Mongeon, j.c.s., dans Groupe Jean Coutu (PJC) inc.c. Parfums Christian Dior Canada inc. met de l'avant l'énoncé suivant: quand les parties entendent faire un contrat écrit pour gérer leurs relations d'affaires, tant et aussi longtemps que l'entente écrite n'est pas conclue, on ne peut pas prétendre qu'il existe une entente. 
[21] Bien sûr, l'arrêt Prudential Alarm Systems est antérieur au Code civil de 1994, mais le principe demeure le même, l'article 1385 C.c.Q. le confirme. Si les parties assujettissent la formation du contrat à une forme solennelle, cette forme est nécessaire pour conclure à la formation du contrat. 
[22] Le contrat n'est pas formé par le seul échange de consentement s'il est prouvé que l'intention des parties était que le contrat ne prenne naissance qu'au moment de la signature. 
[23] Le principe de stabilité des contrats est sauvegardé puisque lorsque les parties conviennent de rédiger leur entente par écrit, elles sont censées avoir mis dans cet écrit tout ce dont elles ont convenu entre elles. Si l'une d'elles prétend après coup avoir oublié une clause importante, elle doit en subir les conséquences. 
[24] D'où l'importance de retrouver dans l'offre de contracter tous les éléments essentiels du contrat envisagé. Autrement, la stabilité des relations contractuelles serait compromise. 
[25] Le formalisme de l'écrit lorsqu'il est choisi par les parties fait en sorte que la preuve testimoniale n'est pas admise pour contredire ou changer les termes d'un écrit valablement fait.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/SIQXR0

Référence neutre: [2012] ABD 361

Autres décisions citées dans le présent billet:

1. Prudential Alarm Systems Ltée c. Yaffe,  (1978) AZ-78011127 (C.A.).
2. Groupe Jean Coutu (PJC) inc. c. Parfums Christian Dior Canada inc., 2007 QCCS 3296.

3 commentaires:

  1. Bonjour,

    Ce jugement soulève une question intéressante, en ce qu'elle nous ramène aux principes de base du droit des contrats et à nos cours de première année. Il me semble toutefois importants de distinguer la situation où les parties assujettissent la formation du contrat à l'existence d'un écrit de celle où les parties décident simplement de mettre par écrit, pour en garder un preuve, les termes d'un contrat conclu verbalement. On peut facilement imaginer une négociation au cours de laquelle les parties s'entendent sur l'ensemble des éléments essentiels et conviennent qu'un écrit sera rédigé plus tard par l'avocat de l'une d'elles. Dans cette dernière situation, il me semble que le contrat serait formé dès l'acceptation verbale de l'offre contenant tous les éléments essentiels. L'intention des parties de déroger à la règle générale du consensualisme devrait donc être claire, comme elle semble l'être dans le jugement sous étude (et non se déduire simplement de l'existence d'un écrit).

    À ce sujet, il me semble que l'affirmation faite par le juge au paragraphe 25 doit être précisée. Ainsi, l'article 2863 C.c.Q. empêche la contradiction par témoignage dans les deux situations précédemment énoncées (formation du contrat par un écrit et rédaction d'un écrit relatant une entente conclue verbalement). Selon ma compréhension, l'interdiction de la preuve testimoniale ne serait donc pas tributaire de la décision des parties de soumettre la formation du contrat à l'exigence d'un écrit.

    Est-ce que je fais erreur?

    Pascal Marchi

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  2. Tu as raison Pascal, il faut distinguer les situations où les parties font de l'écrit une condition sine qua non à leur consentement et celles où elles désirent simplement mémorialiser leur entente par écrit.

    Ici, le juge en est venu à la conclusion que les parties se sont entendues (concluant ainsi un contrat) pour que leur transaction ne soit finale que si mise par écrit. Sur cet aspect, ne connaissant pas la preuve qui a été présentée, je ne peux juger de la conclusion du juge. Ceci étant dit, étant donnée cette conclusion factuelle du juge quant à l'existence d'une entente entre les parties à l'effet qu'un écrit était nécessaire pour conclure à échange de consentement, il s'est bien dirigé en droit (selon moi) en concluant qu'en l'absence d'un tel écrit il n'y avait pas transaction.

    Sans cette conclusion factuelle, je serais tout à fait d'accord avec toi que le seul échange de consentement, sous quelque forme que ce soit, eut été suffisant pour conclure à contrat.

    J'espère que cela répond adéquatement à ta question.

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  3. La Cour d'appel vient de confirmer cette décision dans Thériault c. Thériault (2014 QCCA 397): http://www.jugements.qc.ca/php/decision.php?liste=74962842&doc=12A9B510CACEAF363310A207671EB7247364B8C353BAFE63913EB15AEDEA3956&page=1

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