Étudiant en droit, Université de Sherbrooke
En raison de l’importance grandissante de la protection de l’environnement, une grande marge de manœuvre a été déléguée au ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs dans l’émission de certificat de conformité environnementale. Comme le rappelle le jugement Québec (Procureur général) c. Bélanger (2012 QCCA 1669), la légalité de la décision discrétionnaire de l’administration publique peut être contestée pour certains motifs précis.
Dans la présente affaire, une injonction ordonne la cessation des activités d’une sablière suite à l’annulation des certificats de conformité et d’autorisation environnementale émis. Contestant la décision en première instance, il est alors question, dans le contexte d’un contrôle judiciaire, de la norme d’intervention d’une décision discrétionnaire de l’État.
À ce sujet, l’Honorable juge Fournier analyse le tout et fait référence au cadre législatif de la loi pour affirmer que le ministre ne peut mettre de côté ses propres règlements dans l’appréciation d’une situation :
[44] Il n'y a rien dans la Loi ou les Règlements qui force le Ministre à délivrer le certificat d'autorisation alors que la Loi lui permet, notamment au dernier paragraphe de l'article 22 et à l'article 24 LQE, d'avoir des exigences supplémentaires en vue de s'assurer de la conformité du projet à la Loi et aux Règlements.
[45] La jurisprudence et la doctrine considèrent que le pouvoir du Ministre, en vertu de l'article 22 de la LQE, est un pouvoir discrétionnaire.
[46] Dans l'ouvrage L'environnement au Québec[9], à la rubrique 9.1.1.6, les auteurs écrivent :
La décision d'émettre un certificat d'autorisation ne peut être contestée devant le Tribunal administratif du Québec en vertu de l'article 96 de la loi.
[Citation omise]
Cependant, la légalité est sujette au contrôle de la Cour supérieure aux conditions élaborées par la théorie du droit administratif relative à l'exercice des pouvoirs discrétionnaires de l'Administration. Considérant le contexte législatif dans lequel se situe ce pouvoir discrétionnaire du ministre, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable au sens de l'arrêt Dunsmuir, pour ce qui, touche à l'appréciation des faits, à l'application d'une politique gouvernementale et plus généralement, à l'exercice de la discrétion administrative.
[…]
[57] Face à un pouvoir discrétionnaire, l'intervention judiciaire n'est possible que dans les cas d'abus ou de détournement de la discrétion à des fins autres que celles prévues à la loi.
[58] C'est ce que nous enseigne la jurisprudence et notamment l'arrêt Baker où on lit le passage suivant :
51 Comme je l’ai dit précédemment, la loi et le règlement délèguent un très large pouvoir discrétionnaire au ministre dans la décision d’accorder une dispense pour des raisons d’ordre humanitaire. Le règlement dit que «[l]e ministre est autorisé à accorder, pour des raisons d’ordre humanitaire, une dispense [. . .] ou à faciliter l’admission au Canada de toute autre manière». Ce langage témoigne de l’intention de laisser au ministre une grande latitude dans sa décision d’accorder ou non une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire.
[…]
53 Le droit administratif a traditionnellement abordé le contrôle judiciaire des décisions discrétionnaires séparément de décisions sur l’interprétation de règles de droit. Le principe est qu’on ne peut exercer un contrôle judiciaire sur les décisions discrétionnaires que pour des motifs limités, comme la mauvaise foi des décideurs, l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans un but incorrect, et l’utilisation de considérations non pertinentes […]. Un principe général relatif au «caractère déraisonnable» a parfois été appliqué aussi à des décisions discrétionnaires […]. À mon avis, ces principes englobent deux idées centrales — qu’une décision discrétionnaire, comme toute autre décision administrative, doit respecter les limites de la compétence conférée par la loi, mais que les tribunaux devront exercer une grande retenue à l’égard des décideurs lorsqu’ils contrôlent ce pouvoir discrétionnaire et déterminent l’étendue de la compétence du décideur. Ces principes reconnaissent que lorsque le législateur confère par voie législative des choix étendus aux organismes administratifs, son intention est d’indiquer que les tribunaux ne devraient pas intervenir à la légère dans de telles décisions, et devraient accorder une marge considérable de respect aux décideurs lorsqu’ils révisent la façon dont les décideurs ont exercé leur discrétion. Toutefois, l’exercice du pouvoir discrétionnaire doit quand même rester dans les limites d’une interprétation raisonnable de la marge de manœuvre envisagée par le législateur, conformément aux principes de la primauté du droit […], suivant les principes généraux de droit administratif régissant l’exercice du pouvoir discrétionnaire, et de façon conciliable avec la Charte canadienne des droits et libertés […].
[…]
[61] Ici, l'article 24 LQE confère au Ministre le pouvoir discrétionnaire de délivrer un certificat d'autorisation. Cela ne veut pas dire qu'il a carte blanche et qu'il peut, à son gré, rendre une décision qui, par exemple, ne respecterait pas l'article 10 du Règlement lequel prohibe l'exploitation d'une sablière dans un « territoire zoné […] pour fins résidentielles, commerciales ou mixtes (commerciales – résidentielles) ».
Le texte intégral du jugement est disponible ici:
http://bit.ly/SMt1Ow
Référence neutre: [2012] ABD
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