vendredi 28 septembre 2012

Au stade préliminaire, l’immunité de l’État quant à ses décisions politiques ne constitue pas en soi un moyen de non-recevabilité

par Samuel Grondin
Étudiant en droit, Université de Sherbrooke

La politique relève d’un domaine hors de la compétence des tribunaux, raison pour laquelle les cours de justice ne posent pas de jugement sur les choix politiques des gouvernements et des législateurs. L’État possède, quant à ses décisions relevant de la sphère politique, une immunité et ce, comme le souligne le jugement Tonnelier c. Québec (Procureur général) (2012 QCCA 1654). Il s’agit toutefois d’un moyen de défense qui doit être analysé sur le fond.
 

La présente affaire porte sur l’autorisation d’un recours collectif contre le gouvernement du Québec au bénéfice de toutes les personnes atteintes d’une certaine maladie ayant passé un test pour lequel certaines irrégularités sont survenues. Face aux allégations d’absence de mesures permettant d’assurer la qualité des tests offerts, il est question de savoir si les gestes du gouvernement relèvent de la sphère opérationnelle de ses activités ou de la sphère politique, cette dernière étant visée par une immunité.
 
À cet effet, l’ Honorable juge Dufresne de la Cour d’appel rappelle les principes applicables quant à la qualification d’un acte relevant de la sphère politique et le fait qu’il s’agit d’un moyen de défense généralement débattu sur le fond :
[61] […] L’intimé a d’abord opposé une défense d’immunité dont jouit le gouvernement pour ses décisions de nature politique, défense que le juge a retenue en s’appuyant sur les arrêts de principe de la Cour suprême dans Just c. Colombie-Britannique et Cooper c. Hobbart de la Cour suprême et sur l’arrêt Cilinger c. Québec (Procureur général) de la Cour, qui énoncent que le gouvernement bénéficie d’une immunité pour ses décisions qui relèvent de la sphère politique. 
[62] Dans Just, la Cour suprême apporte les précisions suivantes :
Pour déterminer si une décision est une décision de politique, il ne faut pas oublier que de telles décisions sont généralement prises par des personnes occupant un poste élevé au sein de l'organisme mais qu'elles peuvent aussi émaner d'un échelon inférieur. La qualification de la décision dépend de sa nature et non de l'identité des acteurs. De façon générale, les décisions concernant l'allocation de ressources budgétaires à des ministères ou organismes gouvernementaux seront rangées dans la catégorie des décisions de politique.
[63] Bien que le juge soit conscient que, généralement, il revient plutôt au juge du fond de décider si le principe de l’immunité de l’État peut être opposé au requérant, il conclut néanmoins que les éléments détaillés de preuve dont il est saisi établissent sans équivoque son application. L’intimé s’est donc acquitté, selon lui, de son fardeau à cet égard. 
[…] 
[66] En effet, dans l’arrêt Carrier, précité, la Cour considère qu'en général, il est trop tôt, au stade de l'autorisation, pour apprécier de manière suffisante un tel moyen de défense :
[37] Au moment de l'autorisation, alors que la suffisance de la preuve n'est appréciée que de manière prima facie, règle générale, il sera prématuré de conclure qu'une défense d'immunité s'applique en faveur de l'État. Ce qui n'est qu'un moyen de défense parmi d'autres, celui de l'immunité ici invoquée par l'intimé ne peut, lors de l'examen portant sur l'autorisation, être érigé au rang de moyen de non-recevabilité. À moins de convenir que la demande à sa face même est frivole, manifestement vouée à l'échec ou encore que les allégations de faits sont insuffisantes ou qu'il soit « incontestable » que le droit invoqué est mal fondé, il me paraît, outre ces circonstances, qu'il n'est pas souhaitable en début d'analyse de décider de la valeur absolue d'un tel moyen de défense.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/SqYCyK
 
Référence neutre: [2012] ABD 348

Autres décisions citées dans le présent billet:

1. Just c. Colombie-Britannique, [1989] 2 R.C.S. 1228.
2. Cooper c. Hobbart, [2001] 3 R.C.S. 537, 2001 CSC 79.
3. Cilinger c. Québec (Procureur général), [2004] R.J.Q. 2942, J.E. 2004-2175, juge Gendreau (C.A.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 14 juillet 2005, 30703.

1 commentaire:

  1. «Au stade préliminaire, l’immunité de l’État quant à ses décisions politiques ne constitue pas en soi un moyen de non-recevabilité»

    Avec égards, j'estime que le titre de votre billet peut induire un lecteur qui n'aurait pas consulté cet arrêt en erreur. En effet, si le juge Dufresne, dans l'arrêt Tonnelier, rappelle que la question de l'immunité sera généralement débattue au fond, il reconnaît qu'en l'espèce, le juge de première instance a eu raison de traiter cette question au stade de l'autorisation.

    L'autorisation d'exercer un recours collectif a été refusée sur la question de l'immunité en première instance, jugement confirmé en appel:

    «[89]Le jugement, objet de l’appel, ne comporte pas d’erreur qui puisse justifier l’intervention de la Cour. Le juge a eu raison de conclure à la validité de la défense d’immunité soulevée par l’intimé, ce qui emporte, du même coup, que le critère du paragraphe 1003 b) C.p.c. (l’apparence de droit) n’est pas satisfait. L’autorisation devait donc, comme il l’a d’ailleurs décidé, être refusée, à moins que le MSSS ait fait preuve d’insouciance ou d’incurie graves ou de négligence grossière équivalant à mauvaise foi, ce qui ne ressort aucunement des faits tenus pour avérés ou mis en preuve en première instance.»

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