mardi 7 août 2012

Pas de possession concurrente en matière de prescription acquisitive

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

En matière de prescription acquisitive, la possession de la personne qui plaide prescription doit être exclusive. Comme le souligne à juste titre la Cour d'appel dans Sylviculture et exploitation JMJ inc. c. Mayer Hill (2012 QCCA 1377), cela implique qu'il ne peut y avoir deux possesseurs simultanés. On dira alors qu'il n'y a pas de possession utile au sens de la loi.


Dans cette affaire, l'Appelante se pourvoit contre un jugement prononcé par la Cour supérieure  accueillant la requête de l'Intimée en reconnaissance de propriété d'une parcelle de terrain de 8,5 acres par prescription acquisitive, en injonction permanente et en dommages et intérêts.

L'Honorable juge Claude-C Gagnon (ad hoc), au nom d'un banc unanime, renverse en partie le jugement de première instance sur la question de la prescription acquisitive. Il le fait parce que la preuve en première instance a démontré qu'il y avait possession simultanée de certains lots. Une telle "possession" ne peut mener à l'acquisition par voie de prescription, puisque, pour se faire, la possession doit être exclusive:
[45] Un regard sur l'ensemble de la preuve met donc en évidence que les auteurs de l'appelante et l'intimée se sont tous deux livrés, entre le 1erjanvier 1994 et le 1er janvier 2004, à des actes de possession sur la lisière litigieuse. 
[46] Le professeur Pierre-Claude Lafond souligne, relativement à la possession concurrente d'un bien, ce qui suit :
555 – La possession souffre d'un vice d'équivoque lorsque deux personnes ou plus jouissent d'un même bien sans qu'il soit possible de distinguer le possesseur du propriétaire. En ce cas, l'exigence d'exclusivité fait défaut. Il en va de même de celui qui s'immisce dans la jouissance d'un immeuble qu'un autre continue de posséder en vertu d'un titre lui en attribuant la propriété exclusive. 
Gignac c. Gignac, [1956] B.R. 586. 
556 – Lorsque plusieurs personnes concourent sur le même lieu pour le posséder et qu’elles se livrent à des actes possessoires de part et d'autre, la jurisprudence et la doctrine ont tendance à nier l'existence de toute possession utile. La cohabitation et le concubinage prêtent souvent flanc à ce genre de situation.
[47] Dans l'arrêt Tanguay c. Simard, la Cour rappelle, au sujet de ceux qui concourent à la possession d'un même lieu :
Ces parties de lots, qui représentent des excédents de terrain non utilisés dont s'est départi le ministère de la Voirie en 1945, consistaient en un ravin qui n'a été totalement comblé qu'à compter de 1960 ou 1961 seulement. La preuve faite en première instance démontre qu'auparavant monsieur Ernest Bérubé n'en avait pas la possession exclusive puisqu'il n'en était pas le seul utilisateur, des tiers ayant pris l'habitude de venir y jeter des débris de toutes sortes et la Ville de Beauport y décharger du sable. 
Ce caractère non exclusif de la possession de ces parties de lots rend celle-ci équivoque l'empêchant ainsi de satisfaire à l'une des exigences essentielles posées par l'article 2193 du Code civil du Bas-Canada pour qu'il y ait prescription au moyen de la possession.
[48] Plus récemment, la Cour rappelle ce même principe dans Sivret c. Giroux :
Dans les cas de cohabitation, comme le remarque avec justesse le premier juge, lorsque deux personnes se livrent à des actes possessoires, la jurisprudence et la doctrine nient toute possession utile, la possession étant non exclusive, partagée, équivoque.
[49] Force est toutefois de constater que les actes possessoires de l'intimée sont plus fréquents que ceux des auteurs de l'appelante. Mais ces gestes doivent être appréciés dans leur contexte. L'intimée est propriétaire de quatre lots contigus sur lesquels est bâtie la maison qu'elle habite. Les compagnies de M. Stosik exploitent, quant à elles, des terres à bois. Elles sont propriétaires d'une vingtaine de ces lots sur lesquels elles font l'abattage d'arbres. M. Stosik n'habite pas les lieux et avait même loué les lots 42 et 43 du Rang II à son frère, qui y exploitait une pourvoirie à la saison de la chasse. Les circonstances expliquent adéquatement que les actions que posent les auteurs de l'appelante sur ces lots sont moins régulières que celles de l'intimée. 
[50] Examinés dans leur contexte, les actes des auteurs de l'appelante sont suffisamment significatifs pour être qualifiés de possessoires, tout comme le sont également ceux de l'intimée au cours de la même période. 
[51] Le caractère non exclusif de la possession de l'intimée de la partie litigieuse du lot 42 du Rang II rend celle-ci équivoque et l'empêche de satisfaire à l'une des exigences impératives de la possession utile, nécessaire pour qu'il y ait acquisition par prescription.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/MgDApo

Référence neutre: [2012] ABD 271

Autres décisions citées dans le présent billet:

1. Tanguay c. Simard, J.E. 89-1467 (C.A.).
2. Sivret c. Giroux, [1997] R.D.I. 163 (C.A.).

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