Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Lors de l'adoption du Code civil du Québec, le législateur a pris la décision expresse de mettre de côté la dation en paiement pour plutôt favoriser l'exercice des droits hypothécaires de manière uniforme. De là est né l'article 1801 C.c.Q. Or, sans grande surprise, certaines créanciers ont tenté depuis ce temps de trouver un moyen de contourner cette interdiction. Dans St-Pierre c. Lofti (2012 QCCA 1436), la Cour d'appel rejette la possibilité pour un prêteur hypothécaire de procéder à un tel contournement en faisant signer aux débiteurs un acte de vente qui prévoit le transfert de la propriété en contrepartie des sommes dues.
Les faits de l'affaire sont relativement simples. En 2006, l'Intimé emprunte la somme de 53 000 $ à l'Appelant, en contrepartie de quoi il consent à ce dernier une hypothèque de troisième rang sur un
immeuble qui lui appartient. Jusque là, rien qui sort du commun. Cependant, à la même date, l'Appelant fait signer à l'Intimé un "Acte de vente" non daté, lequel prévoit que l'immeuble en question lui est vendu "en paiement de toutes les sommes dues à
l'acquéreur par le vendeur aux termes de l'acte de prêt en faveur de l'acquéreur". L'effet de ce dernier acte est de permettre à l'Appelant, en cas de défaut de l'Intimé, d'immédiatement devenir propriétaire de l'immeuble en "l'achetant" en contrepartie des sommes qui lui sont dues, évitant ainsi de devoir procéder par voie de recours hypothécaire.
Sans grande surprise, la Cour d'appel déclare ce procédé invalide. L'Honorable juge Marie-France Bich, au nom d'un banc unanime, s'exprime ainsi:
[19] Je ne m'avancerai pas plus loin dans cette voie, cependant, puisqu'il n'est à mon avis pas nécessaire de statuer sur la question dans la mesure où, de toute façon, la nullité de l'acte de vente litigieux s'impose en raison de l'article 1801 C.c.Q.
[20] Voici en effet un acte dont l'appelant a exigé la signature en parallèle au contrat de prêt hypothécaire, et ce, afin de garantir doublement celui-ci et d'éviter au créancier les démarches judiciaires prévues par les articles 2748 et s. C.c.Q. et notamment celles des articles 2778 et s., qui régissent la prise en paiement.
[21] Or, un tel acte est manifestement contraire à l'article 1801 C.c.Q.
[...]
[22] Cette disposition d'ordre public vise précisément à empêcher les dations en paiement ou, pour reprendre les termes de l'appelant, les « délaissements volontaires » consentis par avance et qui ne se font pas strictement dans les conditions prévues par le chapitre que le Code civil consacre à l'exercice des droits hypothécaires. L'acte de vente, ici, a été exigé par l'appelant en vue de contourner ces exigences, qui sont toutes d'ordre public, et l'on ne peut certainement pas y voir, dans les circonstances, une forme de délaissement volontaire de la part de l'intimé au sens de l'article 2764 C.c.Q.
[23] Évidemment, le fait que l'appelant a demandé que soit signé un acte de vente distinct de l'acte de prêt hypothécaire, plutôt que d'inclure une clause de dation en paiement dans ce dernier, ne change rien à l'affaire, la manœuvre enfreignant clairement l'article 1801 C.c.Q. L'acte de vente dans son entièreté est donc réputé non écrit au sens de cette disposition et, partant, nul.
[24] Par ailleurs, le fait que l'appelant, prétendant se conformer à son obligation de donner un préavis d'exercice des droits hypothécaires, a choisi de signer l'acte de vente et de l'inscrire au registre foncier après avoir procédé à l'envoi d'un tel préavis (dont il a respecté les délais) n'est pas, il va sans dire, de nature à remédier à cette nullité.
[25] L'acte de vente en question étant réputé non écrit, et donc nul et sans effet, il conviendra d'ordonner sa radiation du registre foncier.
Le texte intégral du jugement est disponible ici:
http://bit.ly/S095Xd
Référence neutre: [2012] ABD 285
Cher confrère,
RépondreEffacerLe titre de votre article pourrait porter à confusion. Vous avez écrit:
"On ne peut contourner l'interdiction de la dation en paiement en faisant signer à notre débiteur un acte de vente conditionnel".
Votre titre laisse croire que la dation en paiement est un mécanisme interdit en soi. Ce qui est, comme vous le savez, inexact aux termes des art. 1799 et ss du C.c.Q. Le cadre d'exclusion de son usage serait plutôt un contexte d'exercice de droits hypothécaires (préavis d'exercice, prise en paiement). Vous en avez certes fait mention dans le contenu mais le lecteur néophyte ne se serait peut-être pas rendu plus loin dans la lecture de votre article.
Aussi je vous suggère le titre suivant:
"On ne peut contourner l'interdiction de la dation en paiement en faisant signer à notre débiteur hypothécaire, un acte de vente immobilier conditionnel".
Bien cordialement,
James Ébongué, Stagiaire en Droit,
Cabinet De Bargis & Daniel - Attorneys, Avocats