mercredi 8 août 2012

L'abus de droit contractuel n'implique pas nécessairement faute extracontractuelle

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Depuis l'arrêt de principe de la Cour suprême dans l'affaire BCN c. Houle, la théorie de l'abus de droit contractuel est bien enchâssée en droit québécois. Reste que cet abus ne se traduit pas automatiquement en faute extracontractuelle engendrant une responsabilité envers les actionnaires ou autres tiers comme le rappelle la Cour d'appel dans l'affaire Fier Succès c. Caisse populaire Desjardins de Hauterive (2012 QCCA 1360).


L'Appelante, une société en commandite, réclame dans cette affaire des Intimées une indemnité pour la perte de son placement de 500 000 $ dans le capital-actions de la société Les Entreprises Boily et fils inc., laquelle a été provoquée, selon elle, par la décision intempestive des Intimées de retirer sans préavis la facilité de crédit variable consentie à Boily.

Le juge de première instance en était venu à la conclusion que le retrait de la facilité de crédit était effectivement intempestive. La Cour d'appel rejette le pourvoi de l'Appelante et accueille l'appel incident des Intimées, concluant ainsi en l'absence de responsabilité des Intimées.

Bien qu'il n'intervient pas nécessairement dans la conclusion factuelle du juge de première instance quant au caractère intempestif du retrait de la faculté de crédit, l'Honorable juge Guy Gagnon, au nom d'un banc unanime, souligne qu'il s'agissait là d'une faute contractuelle envers Boily et que cela n'entraînait pas nécessairement la conclusion qu'il s'agissait d'une faute extracontractuelle envers l'Appelante:
[72] FIER est, par rapport aux ententes intervenues entre Desjardins et Boily, une tierce partie qui ne peut par ricochet prétendre exercer les droits de Boily, notamment en reprochant à Desjardins d'avoir abusé de ses droits contractuels envers cette dernière :
Réciproquement, une réclamation pour abus des droits contractuels ne pouvant être fondée que sur des assises contractuelles, seules les parties contractantes ont un droit d'action. Il découle de ce postulat que les actionnaires intimés dans la présente espèce n'ont, étant donné que c'est la compagnie qui a contracté avec la banque, aucun droit d'action fondé sur le contrat pour abus par la banque de ses droits contractuels. Ce recours n'est ouvert qu'à la compagnie, partie au contrat. En l'espèce, la compagnie n'a pas intenté d'action contre la banque […]. C'est dans ce contexte, ainsi qu'à la lumière des principes examinés précédemment que doit être appréciée la responsabilité en ce qui a trait à la demande que font valoir les actionnaires intimés contre la banque appelante. 
[Je souligne.]
[73] En l'espèce, l'obligation contractuelle d'agir raisonnablement dont était redevable Desjardins n'existait qu'envers Boily :
Enfin, soulignons que, sauf circonstances exceptionnelles, le rappel d'un prêt ou le délai accordé pour le paiement par la suite, même s'il est abusif, n'engendrera pas de responsabilité délictuelle envers les actionnaires de la compagnie, mais seulement une responsabilité contractuelle envers cette compagnie. Bien qu'une demande abusive de paiement puisse entraîner de lourdes conséquences pour les actionnaires, il faudra, pour que soit engagée envers eux la responsabilité prévue à l'art. 1053 C.c.B.-C., une obligation légale transcendant les obligations d'ordre contractuel.
[74] Cela dit, y a-t-il une responsabilité extracontractuelle attribuable à Desjardins ? Pour en décider, un retour sur la preuve s'impose. Pour avoir gain de cause, FIER devait démontrer que Desjardins avait commis une faute à son égard, c'est-à-dire qu'elle avait manqué à une obligation d'agir de bonne foi, et ce, indépendamment de la relation contractuelle existante entre Boily et elle. Voyons ce qu'il en est. 
[...] 
[86] Compte tenu de ce contexte factuel, Desjardins a révoqué la marge de crédit au terme d'une décision rationnelle basée sur des critères d'affaires objectifs. Il n'a pas été démontré que cette décision ait eu comme conséquence de contrecarrer le cours réaliste des événements. Il n'y a en l'espèce aucune preuve qu'elle ait agi de mauvaise foi, de manière impulsive ou encore à des fins impropres. En fait, on ne pouvait exiger de Desjardins de partager le même enthousiaste que FIER entretenait à l'égard du projet d'affaires de Boily, et ce, au point d'ignorer une réalité économique dont les effets étaient devenus incontournables.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/NdMuDV

Référence neutre: [2012] ABD 274

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