Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Lorsqu'on est d'opinion que les procédures judiciaires de la partie adverse sont abusives, est-il nécessaire de formuler une action en dommages dans le cadre de ces mêmes procédures? Comme le souligne l'Honorable juge Michel A. Pinsonnault dans Desrosiers c. Dubuc Marketing Inc. (2012 QCCQ 6114), non seulement est-il possible de formuler sa réclamation dans des procédures judiciaires séparées, mais cela est même recommandable dans certaines circonstances.
Pour nos fins, les faits de l'affaire citée ci-dessus n'importent pas vraiment. Il suffit de noter que la Défenderesse présente une demande reconventionnelle dans laquelle elle demande que la Demanderesse soit condamnée à lui rembourser les honoraires extrajudiciaires encourus dans un autre dossier entre les mêmes parties.
La question se pose donc de savoir s'il est possible de procéder ainsi. Or, non seulement le juge Pinsonnault est-il d'opinion que celui est possible, mais il ajoute que c'est souvent préférable:
[189] Malgré la tendance actuelle de réclamer pour les honoraires extrajudiciaires dans le cadre de causes pour lesquelles les procédures sont estimées abusives, il devient possible de réclamer ces honoraires dans une cause subséquente puisqu’ils ne sont qu’accessoirement liés à la contestation initiale.
La chose jugée et les honoraires extrajudiciaires
[190] L’autorité de la chose jugée implique qu’ :
[u]ne fois le jugement final obtenu, les dommages subis par la victime pour le passé et ceux qui sont évalués pour l’avenir sont liquidés de façon définitive, le principe de la chose jugée empêchant toute réouverture de la réclamation.
[191] En considérant ce principe, puisque les honoraires extrajudiciaires ne sont pas un dommage directement lié à la faute en question dans le litige initial, il ne peut pas y avoir chose jugée au niveau de ce recours si ces dommages n’ont pas été discutés lors du litige.
[192] Dans une telle situation, il n’y aurait pas identité d’objet et de cause, mais seulement de personne. Comme il est expliqué ci-devant, la faute n’est plus celle qui était le fondement du recours initial. Elle est dorénavant la faute qui découle de l’abus de la procédure.
Deuxième recours permis et même recommandé
[193] Dans l’arrêt Kowarsky, la Cour d’appel confirme le bien fondé d’exercer un deuxième recours pour l’octroi d’honoraires extrajudiciaires :
Il va de soi qu'une partie, si elle croit avoir été victime d'un dommage par l'abus de procédures judiciaires, peut rechercher son adversaire en responsabilité et obtenir compensation. [Référence omise]
Ce recours s'exercera comme tout autre par action logée devant le tribunal de première instance compétent; [...].[14]
[194] Deux justifications d’ordre pratique viendraient confirmer l’utilité d’un deuxième procès.
[195] Premièrement, il devient nécessaire de faire une analyse de chaque procédure pour distinguer les services qui ont servi à contrer les procédures abusives et ceux qui étaient requis pour « parvenir au prononcé du jugement réparateur ».
[196] Et finalement, un deuxième procès pourrait même régler le problème potentiel d’un conflit d’intérêts puisque l’avocat pour les services duquel sont demandés les honoraires extrajudiciaires pourrait se voir plaider et justifier ses propres procédures devant le Tribunal :
[…] l’enjeu des frais extrajudiciaires alourdit le litige. De plus, sa présence met directement en cause un belligérant additionnel, l’avocat au dossier. Tant la pertinence de ses actes professionnels que le coût de ses services font désormais partie du débat. Pour dire le moins, son rôle d’officier de justice s’accommode mal de ce nouveau volet. Au plan de la déontologie, la frontière de l’inhabileté n’est pas loin. Et que dire du secret professionnel?
[197] La réclamation pour honoraires extrajudiciaires, à l’occasion d’un second procès, est donc permise et même recommandée à titre de solution classique en la matière.
Le texte intégral du jugement est disponible ici:
http://bit.ly/OXNYi6
Référence neutre: [2012] ABD 296
Autres décisions citées dans le présent billet:
1. Kowarsky c. Québec (Procureur général), 1988 CANLII 992 (C.A.).
2. Hrtschan c. Mont-Royal (Ville de), (2004) CANLII 29479 (C.A.).
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