jeudi 26 juillet 2012

L'employé qui n'apprécie pas le style de gérance de son employeur ne subit pas un congédiement déguisé

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

L'introduction par le législateur des dispositions traitant du harcèlement psychologique dans la Loi sur les normes du travail semble avoir quelque peu brouillé les cartes en droit de l'emploi. En effet, plusieurs sont trop libéraux quant à la définition du harcèlement psychologique et oublient que la nature fondamentale du lien d'emploi implique un droit de supervision et gérance de l'employeur. Ainsi, ce n'est pas seulement parce que l'on apprécie pas le style de gestion de notre supérieur immédiat que l'on peut prétendre à harcèlement psychologique et congédiement déguisé comme le souligne l'affaire Simard c. Banque de Développement du Canada (2012 QCCS 3240).


Dans cette affaire, la Demanderesse dépose des procédures en dommages alléguant harcèlement psychologique et congédiement déguisé. Son ex-employeur conteste ces procédures, faisant valoir que ce que la Demanderesse décrit comme du harcèlement psychologique est plutôt l'exercice légitime du droit de gérance, de gestion et de direction de l'employeur.

Saisi de l'affaire, l'Honorable juge Pierre Tessier est d'accord avec la position de la Défenderesse à la lumière des faits de l'affaire. Selon lui, la critique légitime et constructive du travail d'une personne s'inscrit dans le cadre du droit de gérance de l'employeur et n'équivaut pas à harcèlement psychologique. Ainsi, l'employée qui quitte son poste parce qu'elle n'apprécie pas ce style de gestion ne peut prétendre à congédiement déguisé:
[112] Comme l'enseigne l'arrêt Farber, « l'employeur peut faire toutes les modifications à la situation de son employé qui lui sont permises par le contrat, notamment dans le cadre de son pouvoir de direction » (par. 25, j. Gonthier), à la réserve toutefois qu'une modification substantielle des conditions de travail peut constituer un congédiement déguisé.
« Lorsqu'un employeur décide unilatéralement de modifier de façon substantielle les conditions essentielles du contrat de travail de son employé et que celui-ci n'accepte pas ces modifications et quitte son emploi, son départ constitue non pas une démission, mais un congédiement. Vu l'absence de congédiement formel de la part de l'employeur, on qualifie cette situation de «congédiement déguisé». En effet, en voulant de manière unilatérale modifier substantiellement les conditions essentielles du contrat d'emploi, l'employeur cesse de respecter ses obligations; il se trouve donc à dénoncer ce contrat. Il est alors loisible à l'employé d'invoquer la résiliation pour bris de contrat et de quitter. L'employé a alors droit à une indemnité qui tient lieu de délai-congé et, s'il y a lieu, à des dommages. » 
« Pour arriver à la conclusion qu'un employé a fait l'objet d'un congédiement déguisé, le tribunal doit donc déterminer si la modification unilatérale imposée par l'employeur constituait une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail de l'employé. Pour ce faire, le juge doit se demander si, au moment où l'offre a été faite, une personne raisonnable, se trouvant dans la même situation que l'employé, aurait considéré qu'il s'agissait d'une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail. Le fait que l'employé ait été prêt à accepter en partie la modification n'est pas déterminant puisque d'autres raisons peuvent inciter l'employé à accepter moins que ce à quoi il a droit. »
[113] L'offre de la BDC ne comporte aucune modification substantielle des conditions antérieures de travail de la demanderesse. Tel qu'auparavant mentionné, la demanderesse continuerait à exercer la même fonction et le même travail qu'auparavant à titre de directrice de comptes dans l'une des trois succursales proposées, sous la direction d'un supérieur immédiat autre que France Beaulieu envers qui elle éprouve du ressentiment, au même salaire et mêmes avantages sociaux qu'auparavant, sans être assujettie à un plan d'amélioration du rendement. Contrairement à la situation décrite dans Poirier c. Centre de placements financiers Everest inc., son salaire n'est pas réduit de moitié, son statut et ses tâches ne sont pas réduits, elle ne subit aucune rétrogradation humiliante. Ses conditions de travail ne sont pas modifiées et, à plus forte raison, ne sont pas modifiées de façon substantielle. 
[114] L'arrêt Farber établit un test objectif : une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que la demanderesse, par exemple en janvier 2008, aurait-elle considéré que l'offre de la BDC comporte une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail? Une réponse négative s'impose. Une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait accepté cette offre si elle désirait demeurer à l'emploi de la Banque. Les conditions de travail demeurent objectivement les mêmes qu'auparavant. Pour des motifs subjectifs relevant de sa personnalité et de sa perception, la demanderesse préfère ne plus travailler sous l'autorité d'un employeur qui exerce un droit légitime de gérance, dans un système hiérarchique qui impose certaines contraintes. C'est la raison pour laquelle elle ne recherche aucun emploi durant plus d'une année, que ce soit auprès d'une institution financière ou dans tout autre domaine, ne cherchant par ailleurs aucunement à minimiser les dommages qu'elle prétend avoir subis (art. 1479 C.c.Q.). Dit de façon simple, à l'instar d'un entrepreneur, elle préfère être sa propre patronne et ne plus effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'un employeur. Elle gère depuis septembre 2009 une entreprise qui lui procure la satisfaction et la latitude recherchées. La demanderesse fait ainsi un choix non imposé par la BDC, même de façon indirecte ou dissimulée, qui ne résulte pas d'un congédiement déguisé, mais d'un changement de cap relevant de sa propre volonté. Son emploi à la BDC prend fin à la suite d'une démission, et donc non à la suite d'un congédiement, alors qu'elle met fin de façon unilatérale à son contrat de travail qui aurait pu autrement se poursuivre comme auparavant.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/NYAwOo

Référence neutre: [2012] ABD 256

Autres décisions citées dans le présent billet:

1. Farber c. Cie Trust Royal, [1997] 1 R.C.S. 846.
2. Poirier c. Centre de placements financiers Everest inc., 2005 CanLII 2266 (C.S.).

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