mardi 31 juillet 2012

L'article 294.1 C.p.c. ne permet pas le dépôt en preuve d'une expertise dont l'auteur est décédé avant le procès

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Nous attirions récemment votre attention sur la jurisprudence qui indiquait qu'on ne pouvait, via le mécanisme de l'article 2870 C.c.Q., introduire une déclaration d'opinion (voir notre billet ici: http://bit.ly/MevQFK). Dans la même veine, nous traitons aujourd'hui de l'affaire Lahjouji c. Société de transport de Montréal (2012 QCCS 3450) où la Cour supérieure refuse la production d'une expertise via l'article 294.1 C.p.c. alors que l'expert qui l'a rédigé est décédé.


Dans cette affaire, le Demandeur recherche la responsabilité civile de la Défenderesse suite à un accident survenu dans le métro de Montréal. Cette dernière conteste l'action et présente de la preuve laissant entendre que le Demandeur a été heurté par le métro alors qu'il tentait de se suicider.

Pour appuyer sa prétention qu'il n'était pas suicidaire, le Demandeur cherche à produire une expertise par le biais de l'article 294.1 C.p.c. Malheureusement, l'expert qui a préparé ce rapport est décédé avant la date du procès. L'Honorable Louise Lemelin doit donc décider si cette déclaration est admissible nonobstant l'objection de la Défenderesse.

Elle répond à cette question par la négative:
[86] Les auteurs et la jurisprudence ne sont pas unanimes sur l'interprétation de cet article. Ainsi, des juges ont décidé que le rapport médical produit et communiqué sous l'art. 294.1 C.p.c. ne prouvait que les faits et non l'opinion à titre d'expert. Dans le cas d'un expert décédé, ne pouvaient être admis en preuve que les faits dont l'expert a une connaissance personnelle. Un courant jurisprudentiel promeut une portée plus large à l'art. 294.2 C.p.c. et accepte le rapport pour valoir à la fois du témoignage sur les faits et sur les opinions. Me Claude Royer, comme d'autres auteurs, suggère que les tribunaux auraient des raisons valables d'accepter qu'un écrit émanant d'un expert et déposé en preuve selon l'art. 294.1 C.p.c. puisse établir les faits et les opinions émises. 
[87] Avec égards, même une interprétation large ne permet pas d'écarter le droit reconnu à la partie adverse d'exiger la présence du témoin expert, condition dont s'est prévalue la défenderesse en temps opportun. Bref, les conditions énoncées à l'art. 294.1 C.p.c. ne permettent pas d'accepter le rapport comme le témoignage de l'expert. 
[88] Pourrait-on accepter la déclaration écrite, le rapport de l'expert pour tenir lieu de son témoignage en vertu de cet article 2870 C.c.Q. dont nous venons de discuter dans l'objection précédente ? Le Tribunal ne le croit pas ! 
[89] La Cour d'appel dans l'arrêt Despec Supplies cite avec approbation l'opinion du juge Baudouin dans Itenberg commentant les mots « … sur des faits au sujet desquels elle aurait pu légalement déposér » :
Je suis donc d'avis, comme le premier juge et la jurisprudence des tribunaux d'instance (Droit de la famille – 2146, J.E. 95-504 (C.A.) ; Frenette c. Desrosiers, J.E. 98-1557 (C.S.; Melfi c. Assurance-vie Desjardins-Laurentienne inc., J.E. 99-555 (C.S.), que l'opinion de l'expert n'est pas couverte par l'exception de l'article 2870 C.c.Q. Admettre la solution inverse serait auréoler une simple opinion d'une présomption de fiabilité sans la soumettre au processus contradictoire.
[90] Dans les circonstances de l'espèce, ni l'article 294.1 C.p.c. ni l'article 2870 C.c.Q. ne permettent d'accepter ce rapport comme témoignage du Dr Béliveau.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/QqgNdI

Référence neutre: [2012] ABD 261

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