Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Le fait pour un employeur de résilier unilatéralement le contrat d'emploi d'une personne peu de temps avant que celle-ci ne devienne éligible à une préretraite permet-il à la Cour d'intervenir pour corriger la situation? Pas en absence de caractère intentionnel du geste selon la Cour supérieure dans l'affaire Daunais c. Allstate du Canada (2012 QCCS 3503).
Dans cette affaire, la Demanderesse soumet à la Cour que l'indemnité de départ de 18 mois que lui a accordé son employeur suite à la résiliation unilatérale de son contrat d'emploi est insuffisante et qu'elle a plutôt droit à une période de 24 mois. Qui plus est, elle demande des dommages pour compenser le fait que cette résiliation vient peu de temps avant qu'elle soit éligible au programme de préretraite de la Défenderesse.
L'Honorable juge Francine Nantel accueille l'action de la Demanderesse eu égard de l'indemnité de départ. L'âge, l'ancienneté et la performance de la Demanderesse, en plus du caractère totalement injustifié de la résiliation de son contrat d'emploi convainquent en effet la juge Nantel qu'une période de 24 mois est appropriée en les circonstances. Elle lui accorde également des dommages moraux à la lumière de la façon dont s'est fait le congédiement.
Au chapitre de la préretraite, la juge Nantel refuse cependant la réclamation en l'absence de preuve que la mesure prise par l'employeur visait spécifiquement à empêcher la Demanderesse de bénéficier d'un tel programme:
[80] Le Tribunal a déjà conclu qu'un délai de congé adéquat dans les circonstances aurait été de 24 mois. L'écart pour la rendre à 55 ans est alors de 13 mois.
[81] Lors de son congédiement, Madame n'avait pas acquis l'âge requis pour se prévaloir d'une préretraite à 55 ans, plus avantageuse pour elle.
[82] Elle reçoit depuis 1er avril 2012, une prestation de retraite mensuelle de 2 866 $ alors qu'elle aurait été plus considérable si elle avait bénéficié d'une préretraite à 55 ans sans pénalités.
[83] Dans l'affaire Aksich c. Canadian Pacific Railways, la Cour d’appel décide que l'approche pour un salarié de sa préretraite ne peut constituer un obstacle à la faculté de résiliation unilatérale de l'employeur.
[84] En effet, la juge Bich s'exprime ainsi :
[157] En fait, en réclamant compensation pour la perte de la possibilité de se prévaloir du congé de préretraite, l'appelant cherche à obvier aux effets de la rupture même du lien d'emploi et non pas seulement au préjudice résultant de l'absence d'un délai de congé raisonnable. Sans doute l'intimée aurait-elle pu retarder la terminaison du contrat de l'appelant jusqu'à la date, somme toute assez proche, à laquelle il aurait atteint, par l'addition de son âge et de ses années de service, le seuil de 75 points. Mais elle n'était pas tenue de le faire, ni la loi ni les termes de sa politique ne l'y obligeant, pas plus qu'elle n'est tenue, sauf disposition contractuelle explicite à l'effet contraire, de garantir la pérennité d'un contrat de travail ou de garantir qu'elle gardera un salarié à son service jusqu'à ce que l'individu puisse profiter, par exemple, du délai de congé le plus généreux possible ou d'une pension de retraite maximale.
[158] Il serait sans doute heureux que les employeurs gardent leurs salariés jusqu'à ce que ces derniers profitent des meilleurs avantages possible au stade de la terminaison du contrat de travail, mais cela contredit l'idée même de résiliation unilatérale. Lorsque les parties sont unies par un contrat de travail à durée indéterminée, il y a toujours une épée de Damoclès qui pend sur la tête des parties, et particulièrement sur celle du salarié. C'est là, cependant, la conséquence inéluctable de la reconnaissance de la faculté de résiliation unilatérale. On ne peut pas, en l'espèce, contourner cette réalité en faisant en sorte que le salarié profite, par l'effet du délai de congé, d'une modalité de terminaison d'emploi à laquelle il n'avait pas droit au moment où la rupture s'est matérialisée.
[159] Peut-être la conduite de l'intimée, qui a résilié le contrat alors que l'appelant pouvait acquérir prochainement les points qui l'auraient rendu admissible au congé de préretraite, serait-elle un élément à considérer au chapitre de l'abus de droit. On reprocherait donc ici à l'intimée d'avoir tenté de contourner sa propre politique ou d'en éviter l'application. Cependant, malgré ma conclusion sur l'abus de droit (voir infra), la preuve ne révèle pas, à mon avis, que l'intimée ait délibérément tenté d'éviter l'application de sa politique ni même tenu compte de cet élément au moment de sa décision de résilier le contrat de travail. S'il y a abus de droit, ce n'est donc pas sous ce chef.
[Le Tribunal souligne]
[85] C'est d'ailleurs sur la notion de l'abus de droit que Madame base sa réclamation.
[86] Le Tribunal doit donc décider si la preuve établit que l'employeur a tenté d'éviter l'application de sa propre politique en matière de retraite, s'il a agi d'une manière qui puisse être qualifiée d'abus de droit.
[87] Bien que le Tribunal ait conclu à un préjudice subi par Madame au chapitre de dommages moraux, la preuve ne révèle pas qu'Allstate a délibérément tenté d'éviter l'application de sa politique même si l'approche de la retraite de Madame a été considérée dans l'entente financière.
[88] Allstate n'a pas abusé de son droit en n'accordant pas un délai de congé de 37 mois dans le seul but de permettre à Madame de bénéficier de prestations de retraite plus avantageuses.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/O7WAGj[89] Malgré la sympathie que le Tribunal éprouve à l'égard de Madame, il n'y a pas lieu d'envisager l'octroi de tels dommages.
Référence neutre: [2012] ABD 260
Autre décision citée dans le présent billet:
1. Aksich c. Canadian Pacific Railways, D.T.E. 2006T-679 (C.A.).
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