Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Pour la génération d’avocats qui précède l’adoption de la Loi sur l’assurance automobile du Québec ce fût les causes d’accidents automobiles, alors que pour la nôtre ce sont les causes de vices cachés qui sont les plus nombreuses devant les tribunaux civils. Ainsi, la grande majorité des plaideurs civils auront, un jour, à débattre d’une affaire de vices cachés.
En la matière, c’est l’article 1739 C.c.Q. qui fait couler le plus d’encre.
Celui-ci prévoit que l’acheteur qui découvre des vices affectant sa propriété doit dénoncer lesdits vices à son vendeur par écrit avant de procéder à des travaux de réfection afin de donner à ce dernier l’opportunité de (a) constater l’existence des vices et (b) procéder lui-même, s’il le désire, à la réfection de ceux-ci.
En principe, cette obligation est assez simple à respecter. En pratique cependant, elle est souvent nébuleuse et elle a donné lieu à une jurisprudence très abondante.
D’abord, la question s’est souvent posée à savoir si la dénonciation requise par le législateur devait absolument être faite par écrit pour être valide ou si elle pouvait être verbale. La réponse des tribunaux a été assez nuancée. D’un côté, le libellé de l’article stipule clairement que la dénonciation doit être écrite et les tribunaux ont généralement appliqué cette exigence (Financement Millénium 2000 inc. c. Constructions Tribo inc., 2010 QCCS 6234 et Aviva, compagnie d'assurances du Canada c. Nissan Canada, 2010 QCCS 6661). De l’autre, les tribunaux québécois, par soucis d’équité, ont parfois jugé que le comportement du vendeur était tel qu’il avait renoncé à l’avis. Ce fût le cas par exemple lorsque le vendeur s’est rendu sur les lieux pour constater le vice même sans avoir reçu une dénonciation écrite (Marché de la tuile inc. c. Fata, 2012 QCCA 62), lorsque le vendeur a clairement exprimé son refus d’apporter quelque correctif que ce soit (Chahrouri c. Gazaille, 2011 QCCS 3911) ou lorsque la dénonciation verbale a clairement portée fruit et que le vendeur a eu l’occasion de remédier aux vices (Clarke c. Moriello, 2010 QCCQ 5109).
Reste que la partie qui ne dénonce pas par écrit l’existence de vices cachés court un grand risque de voir son recours civil échouer pour ce motif. Il est donc préférable de toujours dénoncer les vices découverts après l’achat.
Reste cependant la question de savoir combien de fois dénoncer. La partie qui a découvert des vices et procédé à dénoncer ceux-ci par écrit doit-elle procéder à une seconde dénonciation si, en faisant les travaux de réfection, elle découvre que les vices sont plus graves ou plus étendus que prévus? C’est la question à laquelle devait répondre la Cour d’appel dans deux décisions récentes.
En effet, la décision très récente de la Cour d'appel dans Argayova c. Fernandez (2012 QCCA 1243) soulève la question importante (selon moi) de déterminer si un acheteur qui a dénoncé un vice caché à son vendeur et qui découvre subséquemment que ce vice est plus important que celui qu'il avait initialement découvert ou a une deuxième cause possible a le devoir de procéder à une nouvelle dénonciation.
Dans cette affaire, l'appelante se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure qui a accueilli contre elle une action pour vice caché dans un immeuble qu'elle avait vendu aux intimés et qui l'a condamnée à payer à ceux-ci le coût de l'enlèvement du vice ainsi que des dommages-intérêts.
Un des arguments que faisait valoir l'appelante était basé sur l'article 1739 C.c.Q. et l'absence, selon elle, de la dénonciation écrite requise par cet article. En effet, en les mots de la Cour d'appel:
« le cheval de bataille de l'appelante est que le recours des intimés est irrecevable parce que ceux-ci, en violation de l'article 1739 C.c.Q., n'ont pas dénoncé, dans un délai raisonnable, « deux des trois vices ». Selon la thèse de l'appelante, le terrain aurait été en partie contaminé en trois occasions par suite de l'écoulement de mazout de trois réservoirs différents qui n'étaient pas étanches. Or, l'appelante ne fut avisée que de la présence d'hydrocarbures qui auraient émané d'un seul réservoir, soit celui qui fut installé en 2001 et qui était utilisé lors de la vente. »
Dans les faits, les intimés avaient donné la
dénonciation écrite nécessaire en octobre 2005 suite à la découverte du fait
qu'un réservoir de mazout avait coulé sur la propriété (le réservoir en question
étant percé). En réponse, l'Appelante nie non seulement responsabilité, mais
elle ajoute que, si elle était poursuivie par les intimés, elle leur réclamerait
des dommages-intérêts pour atteinte à sa réputation.
Subséquemment, les intimés découvrent que la contamination est beaucoup plus importante qu’ils ne l’avaient cru et que cette contamination additionnelle a probablement été causée par un autre réservoir qui a été retiré des années auparavant. Les intimés avisent donc encore une fois le vendeur de l’existence du vice, sans l’informer par ailleurs de la deuxième cause possible de celui-ci et sans lui communiquer copie du rapport d’inspection qu’ils ont obtenu.
La Cour d'appel, tout comme le juge de première instance, en vient à la conclusion que l'on ne pouvait reprocher aux intimés de ne pas avoir donné d'avis spécifique indiquant que la contamination nouvellement découverte provenait probablement d'un deuxième réservoir :
Subséquemment, les intimés découvrent que la contamination est beaucoup plus importante qu’ils ne l’avaient cru et que cette contamination additionnelle a probablement été causée par un autre réservoir qui a été retiré des années auparavant. Les intimés avisent donc encore une fois le vendeur de l’existence du vice, sans l’informer par ailleurs de la deuxième cause possible de celui-ci et sans lui communiquer copie du rapport d’inspection qu’ils ont obtenu.
La Cour d'appel, tout comme le juge de première instance, en vient à la conclusion que l'on ne pouvait reprocher aux intimés de ne pas avoir donné d'avis spécifique indiquant que la contamination nouvellement découverte provenait probablement d'un deuxième réservoir :
[22] Même si les intimés n'ont pas avisé l'appelante que la contamination avait probablement une deuxième source, la Cour, à l'instar de la juge, conclut que l'article 1739 C.c.Q. ne vient pas au secours de l'appelante. Celle-ci a été avisée que les sols du terrain à l'est du bâtiment étaient contaminés par du mazout et que des travaux coûteux seraient réalisés. Que la contamination eût probablement deux sources ne faisait pas que les intimés devaient conclure qu'il y avait deux vices pour chacun desquels ils devaient aviser l'appelante. Le but de l'article 1739 a été atteint : l'appelante a été avisée d'un vice caché (la contamination du terrain) avant que les travaux de décontamination ne fussent exécutés, et elle a eu l'occasion de faire vérifier la nécessité et le coût de la décontamination.
Personnellement, je suis
tout à fait d'accord avec ce raisonnement. À la lumière des faits de cette
affaire, du nombre de communications envoyées par les intimés à l'appelante et,
surtout, du comportement en apparence immodéré de cette dernière, le résultat de
l'affaire apparaît tout à fait juste du point de vue juridique.
Une interrogation découle cependant du fait que tard en 2011, dans l'affaire Oueiss c. Marino (2011 QCCA 2285), la Cour d'appel avait semblé donner une réponse différente ou à tout le moins plus nuancées à cette question.
Dans cette affaire, l'intimé avait fait l'acquisition d'un immeuble en 1986 et l'avait revendu à l'appelante en 2004. À la fin de juin 2005, une locataire occupant l'un des logements du sous-sol de l'immeuble observe la présence de traces de moisissure sur certains murs. Pareille observation est constatée dans un autre logement du sous-sol de l'immeuble. Jamais auparavant, les locataires de l'immeuble n'avaient relevé de moisissure sur les murs.
L'inspection pré-achat n'en avait pas non plus révélé l'existence.
L'appelant avise son assureur, lequel fait appel à un expert en sinistre pour inspecter les lieux. Ce dernier constate, en faisant pratiquer une ouverture dans le plancher, qu'un dormant de la charpente du faux plancher du sous-sol est pourri. L'appelant en informe alors l'intimé, qui demande l'opinion d'un expert qui se rend sur les lieux.
Après la visite de l'expert de l'intimé, lors des travaux effectués par l'appelant pour corriger le problème, ce dernier découvre d'autres madriers du plancher qui sont pourris. L'appelant ne dénonce pas cette découverte à l'intimé.
Le juge de première instance en vient à la conclusion que bien que le dormant pourri trouvé dans le faux plancher du sous-sol est un vice caché, il n'est pas suffisamment important pour donner ouverture au recours de l'appelant. En appel, ce dernier reproche au juge de s'être limité à ce seul dormant et d'avoir fait abstraction aux autres qui ont été trouvés.
Une interrogation découle cependant du fait que tard en 2011, dans l'affaire Oueiss c. Marino (2011 QCCA 2285), la Cour d'appel avait semblé donner une réponse différente ou à tout le moins plus nuancées à cette question.
Dans cette affaire, l'intimé avait fait l'acquisition d'un immeuble en 1986 et l'avait revendu à l'appelante en 2004. À la fin de juin 2005, une locataire occupant l'un des logements du sous-sol de l'immeuble observe la présence de traces de moisissure sur certains murs. Pareille observation est constatée dans un autre logement du sous-sol de l'immeuble. Jamais auparavant, les locataires de l'immeuble n'avaient relevé de moisissure sur les murs.
L'inspection pré-achat n'en avait pas non plus révélé l'existence.
L'appelant avise son assureur, lequel fait appel à un expert en sinistre pour inspecter les lieux. Ce dernier constate, en faisant pratiquer une ouverture dans le plancher, qu'un dormant de la charpente du faux plancher du sous-sol est pourri. L'appelant en informe alors l'intimé, qui demande l'opinion d'un expert qui se rend sur les lieux.
Après la visite de l'expert de l'intimé, lors des travaux effectués par l'appelant pour corriger le problème, ce dernier découvre d'autres madriers du plancher qui sont pourris. L'appelant ne dénonce pas cette découverte à l'intimé.
Le juge de première instance en vient à la conclusion que bien que le dormant pourri trouvé dans le faux plancher du sous-sol est un vice caché, il n'est pas suffisamment important pour donner ouverture au recours de l'appelant. En appel, ce dernier reproche au juge de s'être limité à ce seul dormant et d'avoir fait abstraction aux autres qui ont été trouvés.
La Cour d'appel rejette ce moyen et
souligne que l'appelant devait faire une nouvelle dénonciation pour les autres
dormants ou madriers s'il désirait en invoquer l'état :
[17] Quant au grief adressé au juge par l'appelant d'avoir limité son évaluation de la preuve à la présence d'un seul dormant pourri, il y a lieu de souligner que l'appelant n'a jamais dénoncé à l'intimé, conformément à l'article 1739 C.c.Q., la découverte d'autres dormants ou madriers pourris sous le plancher après la mise à nue du plancher au moment de la réalisation des travaux de réparation. Cette découverte survenue bien après la visite de l’expert de l’intimé exigeait une nouvelle dénonciation si on entendait opposer à ce dernier les nouveaux faits observés. L'absence de dénonciation à l'intimé a empêché d'envoyer son expert sur place pour constater l'étendue de la pourriture, analyser les causes de celle-ci et confectionner un rapport complémentaire aux fins de son témoignage. Le grief adressé au juge est, pour le moins, mal fondé, dans les circonstances.
Ces deux décisions sont-elles vraiment contradictoires ?
Je ne pense pas. En effet, l'on peut se permettre de penser que, dans l'affaire
Oueiss, la décision ultime de la Cour d'appel eut été différente si
l'Appelant avait dénoncé la découverte de nouvelles pourritures, sans toutefois
en préciser la cause ou l'emplacement exact (une peu comme dans l'affaire
Argayova). En faisant la distinction entre la dénonciation des
conséquences et de leur source, on peut réconcilier les deux
décisions.
Reste qu'il ne m'est pas possible de conclure que la question a une réponse claire et nette. Il sera certes très intéressant de voir comment la jurisprudence à cet égard se développera.
Dans l'intérim, il est toujours préférable d'aviser nos clients de dénoncer plus que moins, particulièrement lorsque l'on garde à l'esprit qu'une simple lettre additionnelle pourrait éviter bien des débats juridiques qui, quoique très intéressants pour les mordus comme moi, seront coûteux.
Référence neutre: [2012] ABD 259
Reste qu'il ne m'est pas possible de conclure que la question a une réponse claire et nette. Il sera certes très intéressant de voir comment la jurisprudence à cet égard se développera.
Dans l'intérim, il est toujours préférable d'aviser nos clients de dénoncer plus que moins, particulièrement lorsque l'on garde à l'esprit qu'une simple lettre additionnelle pourrait éviter bien des débats juridiques qui, quoique très intéressants pour les mordus comme moi, seront coûteux.
Référence neutre: [2012] ABD 259
La présent billet a initialement été publié sur Droit Inc. (www.droit-inc.com).
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