vendredi 27 juillet 2012

Dans certaines circonstances, la Loi sur la santé et la sécurité du travail impose des obligations à un employeur à l'égard d'employés qui ne sont pas les siens

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

La Loi sur la santé et la sécurité du travail peut-elle imposer a un employeur d'aménager son établissement de façon à assurer la protection non seulement de ses employés mais également de ceux d'un tiers employeur qui exécutent des travaux dans son établissement? C'est la question à laquelle devait répondre la Cour d'appel dans Sobeys Québec inc. c. Commission de la santé et la sécurité du travail (2012 QCCA 1329).


En juin 2009, deux frigoristes à l’emploi d'une entreprise qui fournit des services à l'Appelante se rendent au supermarché de l'Appelante suite à un appel de service.Afin de vérifier le bon fonctionnement des appareils de réfrigération et de détecter une éventuelle fuite de fréon, l’un d’eux monte sur le toit de la chambre froide de la pâtisserie. Pour y accéder, il utilise un escabeau mis à sa disposition par l'Appelante et doit couper le grillage bloquant l'accès. Le toit de la chambre froide est juxtaposé aux tuiles du plafond suspendu. Le frigoriste passe à travers ces tuiles, fait une chute d'un peu plus de trois mètres et subit d'importantes blessures.
 
Le jour même, un inspecteur à l’emploi de la Commission de la santé et de la sécurité du Travail  intervient sur les lieux et prescrit certaines mesures de correction à l'Appelante. Quelques semaines plus tard, l'Appelante reçoit un constat d'infraction fondé sur l'article 51 (1) de la LSST.

L'Appelante conteste celui-ci essentiellement au motif qu'une entreprise n'a d'obligations, en vertu de la LSST, qu'envers ses employés et non ceux d'une autre entreprise.

Dans un jugement unanime écrit par l'Honorable juge André Forget, la Cour en vient effectivement à la conclusion que la LSST peut imposer à une entreprise des obligations envers des employés qui ne sont pas les siens. Il en va, selon la Cour, de la vocation même de la LSST:
[50]Le but de la loi est clairement exprimé au paragraphe 2 soit « l'élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l'intégration physique des travailleurs ».  
[51]Les avocats de Sobeys prônent une interprétation qui concorde avec le droit commun. Or, la L.s.s.t. déroge au droit commun et vise à accorder une protection généreuse aux travailleurs.  
[52]L'interprétation littérale proposée par les avocats de Sobeys, notamment les mots « his worker » à la version anglaise de l'article 51, ne peut être déterminante et permettre d'atténuer ou contrecarrer les objectifs de la L.s.s.t.  
[53]La L.s.s.t. couvre toutefois un spectre plus large que la relation traditionnelle d’emploi au sens le plus strict. La L.s.s.t. est une loi sociale d’ordre public, qui doit recevoir une interprétation large et libérale, même en matière pénale, afin d’atteindre son objectif qui est « l'élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs ».  
[54]Il incombait à Sobeys de s’assurer que son établissement était équipé et aménagé de façon à assurer la protection des travailleurs, y compris les travailleurs d'un tiers ainsi que le note la juge de la Cour supérieure :
L'appelante était la mieux placée et aussi la seule pouvant apporter les correctifs concernant l'aménagement et l'équipement de son établissement, celle-ci ayant toute autorité en ces lieux.
[55]Dans aucune des décisions soumises par les parties, la situation dangereuse n'a été laissée sans responsable.  
[56]En l’espèce, il n’est pas contesté que Sobeys et T.R. Réfrigération Inc. sont liées par un contrat d’entreprise, et que cette dernière conserve le contrôle de ses méthodes de travail; d'ailleurs, l’employeur T.R. Réfrigération Inc. a reçu un avis de correction, en vertu de l’article 51 (9) L.s.s.t., concernant l’obligation d’informer adéquatement les travailleurs des moyens sécuritaires pour accéder aux chambres froides.  
[57]Toutefois, l’infraction commise par Sobeys porte sur l’aménagement de son établissement; sa responsabilité en tant qu’employeur découle de son pouvoir de gestion de l’entreprise. À cet égard, il convient de réitérer certains propos du juge Beetz dans l’arrêt Bell Canada :
Si la Loi a pour objectifs la santé et la sécurité des travailleurs, elle s'adresse principalement au gestionnaire de l'entreprise en tant que tel pour réaliser ces objectifs, pour la raison élémentaire que c'est lui qui a la propriété ou le contrôle de l'entreprise, des "établissements", des installations, de l'équipement, des lieux de travail, de l'organisation du travail et des méthodes utilisées pour l'accomplir, des techniques et des rythmes de production, des produits employés, des procédés, du matériel, de la construction d'un établissement, de la modification des installations, etc.
[58]Si la L.s.s.t. n'imposait aucune obligation à Sobeys dans les présentes circonstances, on peut penser que la situation dangereuse aurait persisté et il est possible de concevoir qu'un autre travailleur puisse être victime d'un accident dans des circonstances similaires. Une telle interprétation contreviendrait à l'objectif de la L.s.s.t. soit « l'élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs » (art. 2).  
[59]Je suis donc d'avis que la juge de la Cour du Québec et la juge de la Cour supérieure ont eu raison de conclure à la culpabilité de Sobeys.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/P6VWox

Référence neutre: [2012] ABD 258

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