Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Vous le savez chers lecteurs, j'essaie habituellement de vous apporter des pistes de réponse à certaines questions juridiques, mais ce n'est pas le cas ce matin. Seule une interrogation vous attend à la fin du présent billet. En effet, la décision très récente de la Cour d'appel dans Argayova c. Fernandez (2012 QCCA 1243) soulève la question importante (selon moi) de déterminer si un acheteur qui a dénoncé un vice caché à son vendeur et qui découvre subséquemment que ce vice est plus important que celui qu'il avait initialement découvert ou a une deuxième cause possible a le devoir de procéder à une nouvelle dénonciation.
Dans cette affaire, l'Appelante se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure qui a accueilli contre elle une action pour vice caché dans un immeuble qu'elle avait vendu aux Intimés et qui l'a condamnée à payer à ceux-ci le coût de l'enlèvement du vice ainsi que des dommages-intérêts.
Un des arguments que faisait valoir l'Appelante était basé sur l'article 1739 C.c.Q. et l'absence, selon elle, de la dénonciation écrite requise par cet article. En effet, en les mots de la Cour d'appel:
[6] Le cheval de bataille de l'appelante est que le recours des intimés est irrecevable parce que ceux-ci, en violation de l'article 1739 C.c.Q., n'ont pas dénoncé, dans un délai raisonnable, « deux des trois vices ». Selon la thèse de l'appelante, le terrain aurait été en partie contaminé en trois occasions par suite de l'écoulement de mazout de trois réservoirs différents qui n'étaient pas étanches. Or, l'appelante ne fut avisée que de la présence d'hydrocarbures qui auraient émané d'un seul réservoir, soit celui qui fut installé en 2001 et qui était utilisé lors de la vente. Voyons les faits.
Dans les faits, les Intimés avaient donné la dénonciation écrite nécessaire en octobre 2005 suite à la découverte du fait qu'un réservoir de mazout avait coulé sur la propriété (le réservoir en question étant percé). En réponse, l'Appelante nie non seulement responsabilité, mais elle ajoute que, si elle était poursuivie par les Intimés, elle
leur réclamerait des dommages-intérêts pour atteinte à sa réputation.
Pour la trame factuelle subséquente, je reproduis textuellement les propos de la Cour d'appel:
[17] Après avoir fait la caractérisation d'une partie des sols du terrain, Sanexen remit aux intimés un rapport portant la date du 19 septembre 2006. Le rapport indiquait qu'il y avait des sols contaminés non seulement alentour du réservoir défectueux qui avait été installé en 2001 (à l'est du bâtiment), mais ailleurs, à l'endroit où un ancien réservoir installé sous terre avait été enlevé en 1996 (également à l'est du bâtiment, mais un peu plus au nord). Sanexen avisa les intimés que les sols qui étaient contaminés par des hydrocarbures devaient, selon la réglementation en vigueur, être enlevés et remplacés.
[18] Dans une lettre du 6 octobre 2006 les intimés avisaient l'appelante que, selon Sanexen, les sols du terrain à l'est du bâtiment étaient contaminés et qu'ils avaient retenu les services de cette dernière pour gérer les travaux de décontamination et de restauration des sols. Ils mettaient l'appelante en demeure de lui faire part de ses intentions dans les dix jours, sans quoi ils procéderaient aux travaux dont l'estimation du coût était de l'ordre de 16 000 $ en plus de 6 700 $ qu'ils avaient déjà dépensés pour faire faire la caractérisation d'une partie du terrain et pour remplacer le réservoir défectueux et en plus du coût des travaux de terrassement. L'appelante savait donc à ce moment-là que sa responsabilité pouvait être engagée à concurrence d'une somme d'environ 30 000 $. Mais ce n'était qu'une estimation fondée sur des sondages.
[19] Les intimés ne précisèrent pas à l'appelante que la contamination avait probablement une deuxième source, soit le réservoir qui avait été enfoui dans le sol et qui avait été retiré par l'appelante et son mari en 1996, et ils ne lui remirent pas un exemplaire du rapport de Sanexen. De son côté l'appelante ne leur fit aucune demande à cet égard, et elle ne retint pas les services d'un spécialiste pour constater la présence et l'étendue du vice et s'assurer de la nécessité de la décontamination et du fait que les coûts prévus n'étaient pas exorbitants.
[20] Devant le silence de l'appelante, les intimés ont retenu les services d'entrepreneurs pour faire la décontamination. Au fur et à mesure que les travaux avançaient, on trouvait toujours un peu plus de sols contaminés, ce qui allait faire doubler le coût de la décontamination. Les travaux furent terminés à la fin de novembre 2006.
La Cour d'appel, tout comme le juge de première instance, en vient à la conclusion que l'on ne pouvait reprocher aux Intimés de ne pas avoir donné d'avis spécifique indiquant que la contamination nouvellement découverte provenait probablement d'un deuxième réservoir:
[22] Même si les intimés n'ont pas avisé l'appelante que la contamination avait probablement une deuxième source, la Cour, à l'instar de la juge, conclut que l'article 1739 C.c.Q. ne vient pas au secours de l'appelante. Celle-ci a été avisée que les sols du terrain à l'est du bâtiment étaient contaminés par du mazout et que des travaux coûteux seraient réalisés. Que la contamination eût probablement deux sources ne faisait pas que les intimés devaient conclure qu'il y avait deux vices pour chacun desquels ils devaient aviser l'appelante. Le but de l'article 1739 a été atteint : l'appelante a été avisée d'un vice caché (la contamination du terrain) avant que les travaux de décontamination ne fussent exécutés, et elle a eu l'occasion de faire vérifier la nécessité et le coût de la décontamination.
Personnellement, je suis tout à fait d'accord avec ce raisonnement. À la lumière des faits de cette affaire, du nombre de communications envoyées par les Intimés à l'Appelante et, surtout, le comportement en apparence immodéré de cette dernière, le résultat de l'affaire apparaît tout à fait juste du point de vue juridique.
Mon interrogation découle cependant du fait que tard en 2011, dans l'affaire Oueiss c.
Marino (2011 QCCA 2285), la Cour d'appel avait semblé donner une réponse différente à cette question (voir mon billet sur cette décision ici: http://bit.ly/PMe9NP).
Dans cette affaire, l'Intimé avait fait l'acquisition d'un immeuble en 1986
et l'avait revendu à l'Appelante en 2004. À la fin de juin 2005, une locataire
occupant l'un des logements du sous-sol de l'immeuble observe la présence de
traces de moisissure sur certains murs. Pareille observation est constatée dans
un autre logement du sous-sol de l'immeuble. Jamais auparavant, les locataires
de l'immeuble n'avaient relevé de moisissure sur les murs. L'inspection préachat
n'en avait pas non plus révélé l'existence.
L'Appelant avise son assureur, lequel fait appel à un expert en sinistre pour inspecter les lieux. Ce dernier constate, en faisant pratiquer une ouverture dans le plancher, qu'un dormant de la charpente du faux plancher du sous-sol est pourri. L'Appelant en informe alors l'Intimé, qui demande l'opinion d'un expert qui se rend sur les lieux.
Après la visite de l'expert de l'Intimé, lors des travaux effectués par l'Appelant pour corriger le problème, ce dernier découvre d'autres madriers du plancher qui sont pourris. L'Appelant ne dénonce pas cette découverte à l'Intimé.
Le juge de première instance en vient à la conclusion que bien que le dormant pourri trouvé dans le faux plancher du sous-sol est un vice caché, il n'est pas suffisamment important pour donner ouverture au recours de l'Appelant. En appel, ce dernier reproche au juge de s'être limité à ce seul dormant et d'avoir fait abstraction aux autres qui ont été trouvés.
La Cour d'appel rejette ce moyen et souligne que l'Appelant devait faire une nouvelle dénonciation pour les autres dormants ou madriers s'il désirait en invoquer l'état:
L'Appelant avise son assureur, lequel fait appel à un expert en sinistre pour inspecter les lieux. Ce dernier constate, en faisant pratiquer une ouverture dans le plancher, qu'un dormant de la charpente du faux plancher du sous-sol est pourri. L'Appelant en informe alors l'Intimé, qui demande l'opinion d'un expert qui se rend sur les lieux.
Après la visite de l'expert de l'Intimé, lors des travaux effectués par l'Appelant pour corriger le problème, ce dernier découvre d'autres madriers du plancher qui sont pourris. L'Appelant ne dénonce pas cette découverte à l'Intimé.
Le juge de première instance en vient à la conclusion que bien que le dormant pourri trouvé dans le faux plancher du sous-sol est un vice caché, il n'est pas suffisamment important pour donner ouverture au recours de l'Appelant. En appel, ce dernier reproche au juge de s'être limité à ce seul dormant et d'avoir fait abstraction aux autres qui ont été trouvés.
La Cour d'appel rejette ce moyen et souligne que l'Appelant devait faire une nouvelle dénonciation pour les autres dormants ou madriers s'il désirait en invoquer l'état:
[17] Quant au grief adressé au juge par l'appelant d'avoir limité son évaluation de la preuve à la présence d'un seul dormant pourri, il y a lieu de souligner que l'appelant n'a jamais dénoncé à l'intimé, conformément à l'article 1739 C.c.Q., la découverte d'autres dormants ou madriers pourris sous le plancher après la mise à nue du plancher au moment de la réalisation des travaux de réparation. Cette découverte survenue bien après la visite de l’expert de l’intimé exigeait une nouvelle dénonciation si on entendait opposer à ce dernier les nouveaux faits observés. L'absence de dénonciation à l'intimé a empêché d'envoyer son expert sur place pour constater l'étendue de la pourriture, analyser les causes de celle-ci et confectionner un rapport complémentaire aux fins de son témoignage. Le grief adressé au juge est, pour le moins, mal fondé, dans les circonstances.
Ces deux décisions sont-elles vraiment contradictoires? Je ne pense pas. En effet, l'on peut se permettre de penser que, dans l'affaire Oueiss, la décision ultime de la Cour d'appel eut été différente si l'Appelant avait dénoncé la découverte de nouvelles pourritures, sans toutefois en préciser la cause ou l'emplacement exact (une peu comme dans l'affaire Argayova). En faisant la distinction entre la dénonciation des conséquences et de leur source, ont peut réconcilier les deux décisions.
Reste qu'il ne m'est pas possible de conclure que la question a une réponse claire et nette. Il sera certes très intéressant de voir comment la jurisprudence à cet égard se développera.
Dans l'intérim, il est toujours préférable d'aviser nos clients de dénoncer plus que moins, particulièrement lorsque l'on garde à l'esprit qu'une simple lettre additionnelle pourrait éviter bien des débats juridiques qui, quoique très intéressants pour les mordus comme moi, seront coûteux.
Le texte intégral du jugement est disponible ici:
http://bit.ly/LI2EGQ
Référence neutre: [2012] ABD
233
J'apprécie le parallèle que vous faites avec l'affaire Oueiss c. Marino, car il m'était aussi venu à l'esprit et je suis en parfait accord avec votre conclusion: « En faisant la distinction entre la dénonciation des conséquences et de leur source, on peut réconcilier les deux décisions. »
RépondreEffacerDans l'affaire Oueiss c. Marino, après avoir reçu la dénonciation, le vendeur s'empresse de commander sa propre expertise. Par la suite, n'étant pas avisé de la véritable ampleur des dommages, il n'a pas la possibilité de faire une nouvelle expertise. Sans ce nouvel avis, le vendeur se trouve dans l'impossibilité de vérifier les allégations de l'acheteur. L'objectif de la dénonciation n'est donc pas atteint.
À l'inverse, dans l'affaire Argayova, l'appelante nie simplement toute responsabilité sans jamais faire appel à un spécialiste. Cette inaction lui coûte cher, et avec raison.
Considérant les circonstances particulières de chacune de ces deux affaires, je conclus, comme vous, que ces arrêts ne sont pas irréconciliables.
Merci beaucoup Simon. Ton commentaire me semble juste et il expose une façon très logique de réconcilier les deux décisions en question.
RépondreEffacer