Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Les questions de conflits d'intérêts pour les avocats sont souvent très complexes, de sorte qu'il n'est pas surprenant qu'une jurisprudence abondante existe sur la question. Les questions de conflits d'intérêts pour les experts (vues sous l'angle d'une demande de disqualification) sont beaucoup plus simples à régler. En effet, les tribunaux ont répété ad nauseam qu'un expert n'appartient pas à une partie donnée et qu'il n'y a donc pas de problème à ce qu'il soit consulté par les deux parties dans un litige. L'honorable juge Louisa L. Arcant réitère le principe dans Janin Atlas inc. c. Hydro-Québec inc. (2012 QCCS 3222).
Dans cette affaire, les Requérantes demandent que les avocats des Intimées soient
déclarés inhabiles à représenter leurs clientes dans le litige qui les oppose,
craignant que l’expert leur ait transmis de l'information confidentielle. En effet, les Requérantes allèguent que cet expert a déjà travaillé pour l'une d'elles et a donc eu connaissance de renseignements confidentiels qu'il aurait possiblement révélés au procureur des Intimées.
Dans le cadre de cette requête, la juge Arcand souligne la distinction entre une relation avocat-client et expert-client. Dans le cadre de cette dernière, il n'y a pas d'exclusivité, l'expert n'appartenant pas à la partie:
[42] Leur requête est basée uniquement sur la présomption que l'expert qui détenait des informations dites confidentielles les aurait communiquées aux avocats puisque ceux-ci travaillent en étroite collaboration.
[43] Or, une relation avocat-expert ne peut être assimilée à une relation avocat-client. Dans un jugement rendu en 2004, l'honorable Godbout de cette Cour décrit la différence entre celles-ci :
[22] … selon une jurisprudence constante, il importe de distinguer l'avocat de l'expert. Contrairement à l'avocat, l'expert n'est pas le représentant d'une partie. Il n'a pas à s'engager en faveur d'une partie au détriment de l'autre. Il a uniquement pour rôle d'éclairer le tribunal et de l'aider dans l'appréciation d'une preuve portant sur des questions scientifiques ou techniques.
[23] C'est ainsi qu'il est maintenant bien établi que « rien ne s'oppose à ce qu'un expert puisse être consulté par les deux parties et même donner son opinion à chacune d'elles sur la base des données qu'elles lui soumettent » et qu'il « ne serait pas souhaitable que les parties puissent s'approprier un expert et le rendre ainsi incapable de témoigner pour l'autre partie ».
[24] Bien que le simple fait pour un expert d'avoir déjà agi pour une partie ne le disqualifie pas comme témoin expert de l'autre partie au motif de conflit d'intérêts, « cela peut rendre la tâche de l'expert difficile puisqu'il devra s'assurer que ses réponses ne violent pas son obligation de respecter le secret professionnel, et il appartiendra tant à l'expert qu'aux parties de faire preuve de vigilance à cet égard. Néanmoins, et c'est là le propre du témoignage d'un expert, ce dernier pourra toujours donner son opinion sur la base de données qui lui sont exposées devant le tribunal qui, subséquemment, décide-ra de la valeur probante de cette opinion ».
[25] Si toutefois l'obligation de respecter le secret des renseignements confidentiels obtenus dans le cadre d'un mandat antérieur entrait en jeu dans une large mesure, la question du conflit d'intérêts pourrait être susceptible de se soulever et mener à la disqualification de l'expert.
[Italique et soulignement par le juge Godbout] [Références omises]
[44] Dans un autre arrêt, alors qu'on réclamait la disqualification d'un expert qui avait déjà agi comme consultant de la partie adverse, la Cour d'appel décide de ne pas appliquer les critères énoncés à l'arrêt MacDonald, précité :
Comme notre cour l'a décidé à maintes reprises, le simple fait pour un expert d'avoir déjà agi pour la partie adverse ne le disqualifie pas comme témoin expert de l'autre partie. Cela peut rendre la tâche de l'expert difficile puisqu'il devra s'assurer que ses réponses ne violent pas son obligation de respecter le secret professionnel et il appartiendra tant à l'expert qu'aux parties de faire preuve de vigilance à cet égard. Néanmoins, et c'est là le propre du témoignage d'un expert, ce dernier pourra toujours donner son opinion sur la base de données qui lui sont exposées devant le tribunal qui, subséquemment, décidera de la valeur probante de cette opinion.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/LWXF5fEnfin, il y a lieu de souligner que l'avocat de l'appelante entendait bien éviter le piège lorsqu'il fit dire à l'experte, au cours du voir-dire pour décider de l'objection, que l'expertise qu'elle avait préparée n'avait pas trait à des faits ou à des informations qu'elle avait reçues de l'intimée.
Référence neutre: [2012] ABD 244
Autres décisions citées dans le présent billet:
1. Uni-Communications inc. c. Dessureault, J.E. 2004-2094 (C.S.).
2. 149644 Canada inc. c. St-Eustache (Ville de), [1996] R.D.J. 401 (C.A.).
La permission d'en appeler du jugement a été refusée le 22 août 2012 par l'Honorable juge Yves-Marie Morissette. Le texte intégral du jugement sur l'autorisation est ici: http://www.jugements.qc.ca/php/decision.php?liste=62731147&doc=BC8ED12F652EF964F22B78706F9B3C11A0BE7D9B731F5859DBE24631DABCA4D6&page=1
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