vendredi 15 juin 2012

Lorsqu'une question devra être tranchée dans une autre instance judiciaire, le recours au jugement déclaratoire devant la Cour supérieure n'est pas approprié

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

En février 2011, j'attirais votre attention sur la jurisprudence qui indiquait qu'il n'était pas approprié d'intenter une action pour jugement déclaratoire lorsque le différend en question était déjà pendant devant un tribunal inférieur (voir mon billet ici: http://bit.ly/LLyM8M). Dans la même veine, j'attire aujourd'hui votre attention sur une décision récente de la Cour supérieure dans laquelle elle refuse de se prononcer sur une action en jugement déclaratoire au motif que la question soulevée sera nécessairement débattue dans le cadre d'un autre dossier, même si ce n'est pas le coeur de cet autre litige. Il s'agit de l'affaire Poulin c. Le Commissaire au lobbyisme du Québec (2012 QCCS 2573).


Dans cette affaire, les parties, par le biais d'une requête en jugement déclaratoire, demandent à la Cour supérieure de se prononcer sur la nature et la portée juridique des avis émis par le Commissaire au lobbyisme en vertu de l'article 52 de la Loi sur la transparence et l'éthique en matière de lobbyisme.

Bien qu'aucune des parties restante au dossier ne s'oppose à ce que la Cour tranche la question, l'Honorable juge Daniel W. Payette juge l'exercice inapproprié à la lumière du fait qu'il existe déjà une instance pendant devant la Cour du Québec, chambre pénale, où la recevabilité et la forme probante d'un tel avis devront être déterminés:
[18] La première question que pose le présent dossier n'est pas de savoir si la Cour supérieure est compétente pour trancher les questions proposées par les Requérants, mais de savoir si, dans les circonstances spécifiques de l'affaire, le Tribunal doit exercer sa discrétion pour le faire. Il faut répondre à cette question par la négative. 
[19] On ne peut demander à la Cour supérieure, sous le couvert d'une requête pour jugement déclaratoire, de se prononcer sur la portée, voire la recevabilité, d'un élément de preuve que la poursuite envisage de présenter dans le cadre d'un dossier de nature pénale dont la Cour du Québec est saisi. 
[20] Il est d'ailleurs étonnant que le DPCP ait avalisé ce procédé en ne s'opposant pas à la suspension des procédures pénales. 
[21] Comme l'indique la juge Blondin :
La Cour supérieure jouit d'une grande discrétion lorsqu'il s'agit d'apprécier la recevabilité d'une requête en jugement déclaratoire, et elle doit tenir compte, ce faisant, de l'intérêt public. De plus, elle doit exercer sa discrétion d'une façon judicieuse, propre à assurer une saine administration de la justice.

[22] La saine administration de la justice commande que lorsqu'une autre instance soulevant la même question de droit est introduite, la Cour supérieure n'interviendra pas puisqu'il y a alors une « espèce de litispendance ». 
[...] 
[25] En l'espèce, c'est en raison des procédures pénales intentées contre eux et parce que le DPCP entend les invoquer contre eux que les Requérants demandent au Tribunal de décider de la nature et de la portée des Avis. La requête des Requérants est inextricablement liée à ces procédures. Cela appert du libellé de la Requête et des pièces, et l'interrogatoire de Cliche, entendu après que le Tribunal ait souligné ce fait à plusieurs reprises, n'y change rien. 
[26] Or, à l'instar de la Cour fédérale lorsqu'on lui soumet des bulletins d'information ou d'interprétation en matière fiscale, la Cour du Québec est pleinement habilitée à décider de ces questions et, dans les circonstances, il lui appartient d'en décider en premier ressort. La Cour du Québec a d'ailleurs déjà eu à trancher une objection comme celle que font valoir les Requérants et déterminer la nature et la portée des Avis dans Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Mathieu
[27] À une époque où la déférence face à l'exercice par les tribunaux de leur compétence et la juste allocation des ressources judiciaires s'imposent, il serait incongru d'intervenir par voie de jugement déclaratoire. 
[28] En effet, alors que les tribunaux supérieurs enseignent qu'il est généralement inopportun pour une cour supérieure d'exercer son pouvoir de contrôle et de surveillance à l'égard d'un tribunal qui y est soumis pour réviser une décision interlocutoire, comme une décision portant sur la recevabilité et la portée d'un élément de preuve, il serait mal à propos pour le Tribunal de disposer de la question avant même que la Cour du Québec ait eu l'occasion de se prononcer.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/NDHOaS

Référence neutre: [2012] ABD 198

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