mercredi 13 juin 2012

L'erreur simple de l'avocat constitue une impossibilité d'agir, mais pas sa négligence grossière

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Je dois vous avouer bien candidement n'avoir jamais bien compris la logique qui sous-tend la jurisprudence en matière d'impossibilité d'agir et d'erreur du procureur. En la matière, les tribunaux québécois n'ont pas opté pour une solution facile (i.e. que l'erreur de l'avocat constitue toujours une impossible d'agir ou, au contraire, qu'elle ne le constitue jamais), mais ont plutôt adopté une approche hybride qui veut que l'erreur simple du procureur peut constituer une impossibilité d'agir, mais pas sa négligence grossière. La décision récente de la Cour d'appel dans Lévesque c. St-Élien (2012 QCCA 1057) illustre ce propos.


Je vous épargne les faits de l'affaire puisqu'ils ne sont pas nécessaires à notre propos. Il suffit de retenir que la partie demanderesse a négligé d'inscrire son action dans les 180 jours et que ce n'est que plus d'un an plus tard qu'elle s'adresse à la Cour pour être relevée de son défaut.

Le juge de première instance accueille cette demande. La Cour d'appel est cependant en désaccord avec cette décision. Selon elle, les Demanderesses devaient prouver l'impossibilité d'agir, ce qu'elles n'ont pas fait. En effet, le retard résulte selon la Cour de la négligence grossière des procureurs au dossier et, toujours selon la Cour, si l'erreur d'un avocat peut constituer une impossibilité d'agir, ce n'est pas le cas de la négligence grossière:
[33] Bien que la simple erreur de l'avocat puisse constituer l'impossibilité en fait d'agir dont parle le troisième alinéa de l'article 110.1 C.p.c., il en va autrement de la négligence grossière comme l'illustrent les extraits suivants des affaires Maritime Insurance Company, Presto Construction et Générateurs de brouillard MDG:
Extraits du jugement de la juge Carole Julien de la Cour supérieure dans l'affaire Maritime insurance Company , confirmé par notre Cour

[18] Il faut distinguer l'erreur de l'avocat de la négligence grossière. À titre d'exemple, un malentendu entre deux avocats, une erreur sur la date, une erreur administrative ou une distraction sont assimilés à des impossibilités en fait d'agir, excusant la partie de son défaut d'inscrire dans le délai de 180 jours.
[19] À l'inverse, les oublis flagrants, la mauvaise gestion des dossiers, la négligence grossière des procureurs ne peuvent constituer des impossibilités en fait d'agir et ne peuvent servir de critères pour relever une partie de son défaut d'inscrire dans le délai requis. […]
[…]
[29] Ainsi, les tribunaux n'hésitent pas à rejeter les demandes en prolongation du délai d'inscription, alors même que cela aurait pour effet de priver la partie requérante de tout droit d'action éventuel, lorsque le dossier révèle une erreur grossière de la part du procureur ou un droit d'action mal fondé.
[30] La négligence d'un procureur ne peut être assimilée à une impossibilité d'agir et ce, malgré l'assouplissement de ce critère lors de la dernière réforme. La négligence d'un procureur est caractérisée par une attitude de laisser-aller en regard des délais procéduraux et par une absence de suivi sur une période de temps significative. Les tribunaux sanctionnent sévèrement de telles négligences en rejetant les demandes basées sur l'article 110.1 C.p.c. et ce, malgré la prescription du recours entraînant une perte de droits pour la partie négligente. [Notes omises.]
Extrait du jugement de la juge Hélène Langlois de la Cour supérieure dans l'affaire Presto Construction, confirmé par notre Cour

[10] La revue des décisions sur la question montre cependant que les tribunaux font une distinction quant aux conséquences d'un tel défaut pour une partie selon qu'il résulte de l'erreur de son avocat ou de sa négligence grossière ou de sa mauvaise gestion du dossier «car si toute erreur du procureur, sans égard à sa nature et à son importance, devait constituer une impossibilité d'agir par le justiciable, la règle impérative … ne constituerait plus qu'un énoncé de principe se trouvant en pratique neutralisée dans presque tous les dossiers dans lesquels le justiciable est représenté par avocat …» (Maritime Insurance Company c Transport Fafard inc., AZ50311954, par.20 (C.S.) confirmé en appel AZ-50347697 ).
Extrait de l'arrêt de notre Cour dans l'affaire Générateurs de brouillard MDG

[6] La présente situation n'est donc pas un cas d'erreur anodine corrigée avec diligence. Au contraire, il s'agit d'une erreur constatée par un avocat qui en comprend les conséquences, lequel a choisi de la reléguer au second plan. Aussi, même s'il est vrai qu'une partie, en principe, ne doit pas être privée de ses droits par l'erreur de son avocat, il en va autrement lorsque, comme en l'espèce, l'erreur de l'avocat constitue de la négligence pure et simple.
[34] Dans les circonstances du présent dossier, et malgré les conséquences sérieuses pour les intimées en raison de la prescription du recours, le juge de première instance ne pouvait les relever de leur défaut :
[33] As far as the interest of justice is concerned, it is a two-way street. Not every case where the loss of rights arising from a failure to obtain an extension of time limits will result in those time limits being extended. There have to be sufficient reasons to justify the request beyond the fact that a plaintiff’s rights will be extinguished by prescription. The impact on defendants of such a decision must also be measured, as must the effect on the proper functioning of the legal system that now places emphasis on the resolution of disputes on a timely basis.

Commentaire:

Respectueusement, j'ai de la difficulté à reconcilier ce courant jurisprudentiel majoritaire avec ma compréhension de ce qu'est l'impossibilité d'agir. Il me semble que la question ne devrait pas être celle de savoir quel est le degré de négligence de l'avocat, mais plutôt celle de savoir si son erreur, peu importe sa gravité, a effectivement placé la partie dans une situation d'impossibilité d'agir. À cet égard, je vois mal comment une petite erreur de la part de l'avocat (comme l'entrée d'une date à l'agenda) place une partie en situation d'impossibilité d'agir, mais pas l'oubli total par ce même avocat d'un dossier pendant plus d'un an.

Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/K1I6SR

Référence neutre: [2012] ABD 193

Autres décisions citées dans le présent billet:
1. Maritime Insurance Company c. Transport Fafard inc., 2005 CanLII 57227, confirmé par Maritime Insurance Company c. Transport Fafard inc., 2005 QCCA 1244 .
2. Presto Construction inc. c. Chemor inc., 2008 QCCS 4688, confirmé par 2009 QCCA 561 .
3. Générateurs de brouillard MDG ltée c. Larivière, 2011 QCCA 564.
4. 6270791 Canada inc. c. Cusacorp Management Ltd., 2010 QCCA 1814.
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