mardi 5 juin 2012

Le délai stipulé dans une offre d'achat peut être de rigueur même si le libellé ne le mentionne pas expressément

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Règle générale, pour être de rigueur, le délai stipulé dans une offre d'achat doit mentionner qu'il est de rigueur (voir mon billet de décembre 2010 à cet égard: http://bit.ly/M5OoBI). Or, dans l'affaire 6026729 Canada Inc. c. Galati-Casullo (2012 QCCS 2404), l'Honorable juge Micheline Perreault en vient à la conclusion que même en l'absence d'un tel libellé, le comportement des parties peut mener à la conclusion que le délai était effectivement de rigueur. 


Dans cette affaire, la Demanderesse intente une action en passation de titre suite à la signature entre les parties d'une offre d'achat. La Défenderesse fait valoir que les conditions de l'action en passation de titre ne sont pas rencontrées, entre autres raisons parce que la Demanderesse n'a pas respecté le délai stipulé à l'offre pour conclure la vente.

La juge Perreault note d'abord que le libellé de l'offre d'achat n'indique pas que le délai est de rigueur:
[42] La clause 7.1 de l'Offre d'achat se lit ainsi : « The parties undertake to sign an act of sale before A. Polger, notary, on or before June 15, 2008. » 
[43] 6026 plaide que le fait qu'il n'est pas écrit que la date du 15 juin est « de rigueur », indique qu'il s'agit d'une date qui n'est qu'indicative de l'intention des parties et il s'ensuit que l'Offre d'achat conserve tous ses effets après cette date.  
[44] Il est de jurisprudence bien établie que le délai stipulé dans une offre d'achat pour la signature d'un acte de vente n'est pas de rigueur et que le non-respect du délai n'emporte pas nullité, sauf si les parties l'ont voulu ainsi
Cependant, elle souligne que le libellé de la clause n'est pas le seul élément à analyser; il faut aussi scruter les faits de l'affaire pour trouver l'intention commune des parties.

À cet égard, elle en vient à la conclusion que l'intention des parties, telle que démontrée par leurs échanges, était bel et bien de stipuler un délai de rigueur:
[50] Le comportement postérieur des parties, en ce qu'il illustre et incarne la compréhension qu'elles ont de leur contrat, est un outil d'interprétation important. Il arrive que les parties, après la conclusion du contrat, reconnaissent ou précisent leur intention. En pareil cas, on exige habituellement que le comportement soit sans équivoque, constant et répété. 
[51] Qu'en est-il en l'espèce? 
[52] M. Casullo témoigne que dès le début mai 2008, il indique à M. Li que la transaction doit se faire rapidement. Il veut que l'acte de vente soit signé le 31 mai, mais accepte de prolonger ce délai jusqu'au 15 juin 2008, à la demande de M. Li. Ce dernier aurait souhaité un délai plus long, mais manifeste son accord avec la date proposée par M. Casullo en signant l'Offre d'achat. M. Casullo prend soin de lui indiquer qu'il s'agit d'une date ultime et qu'il n'accordera aucune extension de délai. 
[53] La version de M. Casullo est confirmée par le notaire Polger qui témoigne que bien que lors de la rencontre du 14 mai 2008, M. Casullo ne lui demande pas d'indiquer à l'Offre d'achat qu'il s'agit d'un délai de rigueur, cela apparaît clairement de ses propos. Le Tribunal accorde beaucoup de crédibilité au témoignage du notaire Polger, qui est un tiers n'ayant aucun intérêt dans ce litige.  
[54] Par ailleurs, 6026 a plusieurs versions. D'abord, M. Li témoigne que ce n'est que le 28 mai que M. Casullo l'avise pour la première fois que le délai du 15 juin 2008 est un délai ultime qui ne pourra être prolongé. 6026 soutient ensuite que ce n'est que le 12 juin 2008, soit trois jours avant la date prévue pour la signature de l'acte de vente, qu'elle est informée par Me Dansereau que cette date constitue un délai de rigueur,  et que ce délai est déraisonnable.  
[55] Voici le passage auquel elle fait référence :
« D'entrée de jeu, nous devons nous inscrire en faux quant à votre affirmation à l'effet que la date du 15 juin n'est pas péremptoire puisqu'il a été spécifiquement porté à la connaissance de votre client l'importance d'avoir une transaction rapide devant intervenir dans un délai rapproché, et, à cet égard, celle-ci devait même procéder le ou avant le 31 mai 2008. »
[56] Le Tribunal est d'avis que, d'une part, M. Li sait depuis le 14 mai 2008 que l'acte de vente doit être signé le 15 juin 2008, à défaut de quoi l'Offre d'achat devient caduque. Cela lui est rappelé par M. Casullo lors de leur rencontre du 28 mai 2008 et plus d'une fois par la suite. La lettre de Me Dansereau du 12 juin 2008 ne sert qu'à lui confirmer ce qu'il sait déjà. 
[57] D'autre part, même si ce n'était que le 12 juin 2008 que 6026 est informée pour la première fois qu'il s'agit d'un délai de rigueur, ce délai n'est pas déraisonnable. Dans la décision Martine Tremblay c. 156665 Canada inc., la juge Danielle Grenier en vient à la conclusion qu'une mise en demeure transmise trois jours avant la date prévue pour la signature de l'acte de vente suffit pour qu'un délai soit stipulé de rigueur.   
[58] De plus, le fait que M. Li ait cru nécessaire de faire les trois propositions à Mme Galati - Casullo afin d'obtenir une extension de délai souligne de façon non équivoque qu'il comprenait que la date de signature était une condition importante et qu'elle ne pouvait être prolongée sans l'accord de Mme Galati-Casullo. 
[59] La preuve révèle également qu'à compter du 14 mai 2008, toutes tentatives effectuées auprès de Mme Galati-Casullo pour obtenir un délai additionnel échoue.  
[60] Ainsi, la conduite des parties en l'espèce ne laisse aucun doute sur le caractère « de rigueur » du délai stipulé pour la signature de l'acte de vente, même si cela n'est pas stipulé expressément dans l'Offre d'achat. C'est cette intention qui prévaut et doit régir les rapports entre les parties.
Commentaire

Avec grand respect pour la juge Perreault, je dois m'exprimer en désaccord avec un des éléments de son analyse; i.e. celui qui se retrouve au paragraphe 57 du jugement. Le fait que le délai associé à une offre d'achat est de rigueur (ou pas) découle de la commune intention des parties. Ainsi, une partie ne peut imposer un délai de rigueur à l'autre. Il n'est donc pas possible de simplement "informer" la partie adverse que le délai est de rigueur comme le suggère la juge Perreault au paragraphe 57.

Reste que cette réserve ne change en rien le résultat de l'analyse qu'a effectuée la juge Perreault. En effet, même sans ce paragraphe dans le jugement, il est clair qu'elle en était venue à la conclusion que les parties s'étaient entendues pour que le délai soit de rigueur. Le reste a peu d'importance sur la question.

Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/MaZxov

Référence neutre: [2012] ABD 182

Autre décision citée dans le présent billet:

1. Martine Tremblay c. 156665 Canada inc., 2003 CanLii 12284 (C.S.).

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