mardi 5 juin 2012

L'arbitre qui applique le raisonnement adopté dans une autre affaire (et qui applique la règle du stare decisis) ne refuse pas d'exercer sa compétence

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

En droit civil, la règle du stare decisis (la règle du précédent), n'est pas contraignante sur un décideur. Ceci étant dit, comme le souligne la Cour d'appel dans Société des alcools du Québec c. Syndicat des employés de magasins et de bureaux de la Société des alcools du Québec (CSN) (2012 QCCA 994), cela n'implique pas que le décideur qui choisi de l'appliquer a pour autant refusé d'exercer sa compétence. Dans la mesure où il s'est assuré que les circonstances rendaient l'application d'une décision antérieure souhaitable, l'exercice est tout à fait légitime.


Dans cette affaire, la Requérante demande permission d'interjeter appel d'un jugement de la Cour supérieure qui a rejeté sa demande de révision judiciaire à l'encontre d'une décision arbitrale. Dans celle-ci, l'arbitre accueille un grief déposé par l'Intimé par lequel il a demandé que la Requérante offre les heures de travail en besoins imprévisibles aux employés à temps partiel qui s'étaient absentés pendant la semaine pour des raisons prévues à la convention collective.
Dans sa décision, l'arbitre suit la ratio decidendi d'une autre décision arbitrale rendue sur le même sujet préalablement. Plus spécifiquement, l'arbitre en vient à la conclusion qu'il n'existe pas de motifs de ne pas suivre cette décision. La Requérante y voit là une abdication de compétence.

L'Honorable juge Nicholas Kasirer refuse la permission d'en appeler puisque, comme le juge de la Cour supérieure, il ne voit pas de refus d'exercer une compétence du seul fait que l'arbitre suit l'issue d'une décision arbitrale précédente:
[6] L'arbitre a-t-il excédé sa compétence en suivant la décision de l'arbitre Morin? 
[7] Je partage l'avis de la juge de la Cour supérieure, énoncé au paragraphe de ses motifs, selon lequel l'arbitre n'a pas refusé d'exercer sa juridiction en suivant les enseignements de l'arbitre Morin. 
[8] Un arbitre de griefs n'est pas lié par ladite « règle du précédent », mais il doit s'efforcer à maintenir la cohérence décisionnelle en semblables matières. C'est bien ce que l'arbitre a fait en l'espèce.
[9] Il me semble que l'on ne peut sérieusement prétendre que l'arbitre a abdiqué sa compétence ou, pour employer l'expression du juge Dalphond dans l'arrêt Fraternité des policiers de Gatineau inc., que sa décision n'a pas été posée « dans le respect de l'autonomie et l'indépendance décisionnelle du décideur ». Il ne s'agit pas d'une décision qui suit aveuglément ou sans regard critique la sentence Morin. Comme le souligne la juge de la Cour supérieure, l'arbitre se livre à une analyse du contexte factuel de la sentence Morin, de la question en litige, le raisonnement qui le soutient et comment elle doit être reliée. L'arbitre décide de suivre les enseignements de la sentence Morin après avoir mesuré la connexité, au niveau des faits et des principes, entre son dossier et celui de l'arbitre Morin. Même si l'arbitre décide de s'y rallier à contrecœur au nom de la cohérence institutionnelle (paragr. [39]), il ne le fait pas en abandonnant sa propre compétence sur le différend devant lui. Pour reprendre le vieux dicton, il suit la sentence Morin « by authority of reason and not by reason of authority ». 
[10] Sa décision de suivre la sentence Morin s'inscrit dans l'explication qu'il donne pour son interprétation de la convention collective. À ce titre, il agit à l'intérieur de sa compétence spécialisée et la norme applicable au contrôle judiciaire de sa décision est celle de la décision raisonnable. 
[11] Sur ce point, la requérante ne fait voir aucune erreur dans l'analyse de la Cour supérieure.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/NfLLCs

Référence neutre: [2012] ABD 181

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