Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
N’en déplaise à plusieurs, l’avènement du voile corporatif (i.e. la confirmation
de la personnalité juridique distincte d’une compagnie), a grandement favorisé
l’essor du commerce et de entrepreneuriat. Bien sûr, comme tout autre concept
juridique, il a fallu trouver une façon de pallier aux abus, d’où le
développement de la théorie de la levée du voile corporatif, laquelle permet de
rechercher la responsabilité des actionnaires d’une compagnie, en cas de fraude
ou d’abus de droit. Cette théorie a d’ailleurs été enchâssée lors de la réforme
du Code civil et se retrouve maintenant à l’article 317 C.c.Q.
Reste que la levée du voile corporatif reste mal comprise par
plusieurs. Le meilleur exemple est le rattachement erroné que font ceux-ci entre
cette levée et la responsabilité des administrateurs. Or, les deux concepts ne
devraient pas être confondus. La levée du voile corporatif a pour objectif de
rechercher la responsabilité des actionnaires et non des administrateurs. Dans
le cas de ces derniers, il faut plutôt se tourner vers les principes de
responsabilité civile extra-contractuelle et faire la preuve d’une faute
indépendante pour obtenir leur responsabilité. Si ce n'est pas le cas, la
responsabilité des administrateurs ne pourra être retenue, même si la compagnie
s’est comportée de mauvaise foi comme le rappelle la Cour supérieure dans
9067-8590 Québec Inc. (Kamoutik Adventures Inc.) c. Véhicules d'à
Côté inc. (2012 QCCS 1611).
Dans cette affaire, les demandeurs poursuivent en dommage la Défenderesse et un de ses administrateurs en dommages en raison d'un bris allégué de contrat. Après en être venu à la conclusion que la Défenderesse avait effectivement contrevenu à ses obligations contractuelles, la juge Catherine La Rosa se tourne vers l'action contre le défendeur administrateur de la compagnie. À ce chapitre, elle rappelle qu'on n'a pas à se demander si les critères afférents à la levée du voile corporatif sont rencontrés, mais plutôt à déterminer si le défendeur a commis une faute distincte de la compagnie par laquelle sa responsabilité est engagée. À ce chapitre, la mauvaise foi de la compagnie n’a pas d’importance.
En l’instance, la juge La Rosa retient la responsabilité de l’administrateur parce qu’elle en vient à la conclusion qu’il a commis une faute indépendante en tentant de tirer personnellement profit d’une situation de déséquilibre économique :
Dans cette affaire, les demandeurs poursuivent en dommage la Défenderesse et un de ses administrateurs en dommages en raison d'un bris allégué de contrat. Après en être venu à la conclusion que la Défenderesse avait effectivement contrevenu à ses obligations contractuelles, la juge Catherine La Rosa se tourne vers l'action contre le défendeur administrateur de la compagnie. À ce chapitre, elle rappelle qu'on n'a pas à se demander si les critères afférents à la levée du voile corporatif sont rencontrés, mais plutôt à déterminer si le défendeur a commis une faute distincte de la compagnie par laquelle sa responsabilité est engagée. À ce chapitre, la mauvaise foi de la compagnie n’a pas d’importance.
En l’instance, la juge La Rosa retient la responsabilité de l’administrateur parce qu’elle en vient à la conclusion qu’il a commis une faute indépendante en tentant de tirer personnellement profit d’une situation de déséquilibre économique :
[108] En l'espèce, le Tribunal est d’avis que la conduite de Côté dans toute cette affaire est fautive. Il a unilatéralement changé les termes d’une entente claire précédemment convenue et essayé de tirer parti du déséquilibre économique existant entre lui et Cyr pour forcer ce dernier à accepter les termes d’une entente imposée, tout en adoptant un comportement empreint de mauvaise foi. Il a tenté de se départir d’actifs déjà sous garantie, et essayé d’acheter la créance de Kamoutik pour la mettre hors circuit. Au départ, les intentions de Côté ne sont pas nobles. Il veut tirer avantage de la situation et adopte ainsi des comportements qui trahissent sa mauvaise foi.
La réalité soulignée ci-dessus était également bien
illustrée par la Cour du Québec dans la décision de Capitale Élite régionale
inc. c. 9115-5978 Québec Inc. (2010 QCCQ 6033).
Dans cette
affaire, la demanderesse recherchait la responsabilité de la défenderesse pour
le paiement d'une commission de courtage. Elle poursuivait également un des
administrateurs de la défenderesse suite à des agissements qu'elle qualifiait de
mauvaise foi.
Le juge Normand Amyot notait alors avec
raison, qu'il ne s'agissait pas d'une question de levée du voile corporatif
visée par l'article 317 C.c.Q., mais plutôt d'une question de responsabilité
d'un administrateur. À ce sujet, il pose bien la norme juridique
applicable:
D’autre part, comme l’entité corporative 9115-5978 Québec inc. ne peut agir que par son représentant, il n’en découle pas que l’administrateur est automatiquement responsable du manquement par l’entreprise d’une de ses obligations.
Pour engager la responsabilité personnelle de M. Arès, La Capitale doit démontrer que ce dernier a violé une obligation extra-contractuelle suivant les dispositions générales de l’article 1457 C.c.Q.
Il existe parfois des situations
où la confusion est compréhensible en raison du cumul par la même personne du
statut d’actionnaire et du rôle d’administrateur. Il n’en demeure pas moins que
la responsabilité potentielle de cette personne doit être analysée à travers des
prismes différents pour chacun des rôles occupés.
Qu’on se le tienne pour
dit : lorsqu’on lève le voile corporatif, on ne découvre que des
actionnaires…
Référence neutre: [2012] ABD
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