mercredi 23 mai 2012

La Cour d'appel est catégorique: la proportionnalité n'est pas un critère en matière d'autorisation d'un recours collectif

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

La question de l'application du critère de la proportionnalité en matière d'autorisation d'un recours collectif a fait l'objet de plusieurs de mes billets sur ce blogue (voir le dernier ici: http://bit.ly/KajVoV). Or, dans Brown c. B2B Trust (2012 QCCA 900), la Cour d'appel adopte sa position la plus dure sur la question, ne laissant absolument aucun équivoque sur l'inapplicabilité de l'article 4.2 comme cinquième critère pour l'autorisation d'un recours collectif.


Dans cette affaire, l'Appelante se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure qui a accueilli pour partie seulement sa requête en autorisation d'exercer un recours collectif.

Dans un jugement unanime rédigé par l'Honorable juge Jacques A. Fournier, la Cour renverse la décision de première instance et autorise le recours collectif contre l'Intimée. La Cour termine son jugement en commentant l'application par le juge de première instance de la proportionnalité à titre de cinquième critère d'autorisation (j'ouvre une parenthèse ici pour souligner que le commentaire de la Cour à l'effet que le juge de première instance a considéré la proportionnalité comme cinquième critère est quelque peu surprenant, le juge de première instance ayant spécifiquement indiqué que ce n'était pas le cas, tel que je le soulignais dans mon billet sur la question à l'époque: http://bit.ly/JCyey7).

À cet égard, le juge Fournier adopte la position la plus ferme à date sur la question et souligne que l'application du critère de proportionnalité pourrait même, selon lui, être néfaste:
[65] Reste la question portant sur le critère de proportionnalité que le juge considère comme un cinquième critère. 
[66] Dans un arrêt récent, le juge Morrissette aborde spécifiquement cette question lorsqu'il écrit dans Apple Canada inc. c. St-Germain aux paragraphes 55, 56, 57 et 59:
[55] Enfin, le dernier argument de l’appelante à ce stade du pourvoi consistait à soutenir que la juge aurait dû rejeter le recours de l’intimé dans l’exercice de sa discrétion, seule solution selon l’appelante qui aurait été conforme au principe de proportionnalité énoncé par l’article 4.2 C.p.c. 
[56] Cette prétention peut s’analyser sous deux aspects. La juge aurait-elle dû faire de la sorte au stade de l’autorisation du recours? Devait-elle faire de la sorte au stade du jugement au fond? À mon avis, et pour les raisons qui suivent, la réponse est négative dans les deux cas. 
[57] À mon sens, le récent arrêt Marcotte c. Ville de Longueuil ne justifie aucunement que l’on réponde par l’affirmative à la première question. Il s’agit d’un arrêt majoritaire de cinq des neuf juges de la Cour suprême du Canada. Les juges minoritaires, sous la plume de la juge Deschamps, expriment explicitement l’avis que l’article 4.2 C.p.c. n’a pas pour effet d’introduire en droit québécois un principe accepté dans d’autres systèmes canadiens et selon lequel un recours collectif, pour être autorisé, doit être la procédure la plus appropriée ou le meilleur moyen de vider les questions communes. Les juges majoritaires, sous la plume du juge LeBel, livrent quelques observations sur la portée de l’article 4.2 C.p.c. « [m]ême s’il n’est pas nécessaire d’invoquer le principe de la proportionnalité pour conclure au rejet des demandes d’autorisation des recours collectifs » devant la Cour. Ces observations ne conduisent nullement au résultat recherché par l’appelante dans un dossier comme celui-ci, et il est apparent, d’autre part, que l’un des fondements du jugement majoritaire de la Cour est la proposition (bien établie dans la jurisprudence de la Cour d’appel) selon laquelle un recours collectif n’est pas une voie appropriée pour la présentation d’une demande d’annulation de règlement municipal. Cet arrêt n’est donc d'aucuns secours pour l’appelante. 
[…] 
[59] Bien que l’on puisse leur reconnaître certains mérites, les arguments que fait valoir l’appelante dans le premier volet du pourvoi portent sur des choix législatifs et relèvent par conséquent du législateur plutôt que d’un tribunal. Le législateur a fait de tels choix : le Livre IX du Code de procédure civile, la Loi sur le recours collectif et la réglementation sous son empire incorporent ces choix qui se traduisent par des règles précises, différentes de celles qui ont cours en d’autres endroits. Je ne vois pas ce qui justifierait qu’un tribunal, appelé à sanctionner ces règles, s’autorise d’une vague idée de discrétion pour s’y soustraire plutôt que s’y conformer, et empêche ainsi le déroulement normal d’un recours collectif régi par le Code de procédure civile. Les tribunaux de droit commun disposent, cela va sans dire, de pouvoirs inhérents pour contrôler leur procédure et pour lui faire porter fruit en accord avec les fins de la justice. Il y a longtemps que le droit positif consacre cet état de choses et ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici. S’il existait un lien de droit substantiel entre les parties, l’appelante devait rembourser au groupe, représenté par l’intimé, les sommes perçues en trop, et la détermination du montant du reliquat, du destinataire ultime de ce montant et du pourcentage qu’aurait droit d’y prélever le FARC, demeuraient des questions à résoudre, voire à débattre contradictoirement. Il n’est pas exclu qu’exerçant ses pouvoirs la Cour supérieure aurait pu estimer excessif d’ordonner la publication d’avis dont les coûts, quatre ans après l’autorisation du recours, risquaient d’être hors de proportion avec leur impact probable auprès des membres du groupe. Mais cela en soi ne pouvait commander qu’on liquide l’affaire comme si, considéré rétrospectivement, le recours n’avait pas eu raison d’être en 2006. 
[67] Autrement dit, en l'absence d'une disposition expresse qui le prévoit, le critère de proportionnalité ne devrait pas constituer un cinquième critère d'autorisation. J'ajouterais même, qu'introduire en matière de recours collectif ce critère, s'il prévalait, pourrait équivaloir à nier l'accès aux tribunaux puisque pour plusieurs de ces recours la réclamation ne justifierait pas les coûts d'un recours individuel et que c'est justement la finalité du recours collectif comme véhicule procédural que de permettre une utilisation commune des ressources à un groupe qui rencontre les critères de l'article 1003C.p.c.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/JcPCKs

Référence neutre: [2012] ABD 163

Autre décision citée dans le présent billet:

1. Apple Canada inc. c. St-Germain, 2010 QCCA 1376.

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