mardi 3 avril 2012

La nécessité d'une preuve convaincante pour conclure à l'abus

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

En août 2010, nous attirions votre attention sur une décision de la Cour supérieure qui indiquait que le fait d'intenter une procédure que l'on savait vouée à l'échec constituait un abus qui pouvait être sanctionné par les articles 54.1 C.p.c. et suivants (voir notre billet ici: http://bit.ly/MkyWVc), même en l'absence d'abus "procédural". Dans Industries Lassonde Inc. c. Oasis d'Olivia inc. (2012 QCCA 593), la Cour d'appel est venue confirmer le principe, tout en renversant la décision de première instance faute de conviction du fait que les Appelantes auraient du savoir que son recours était voué à l'échec.


Dans le cadre de cette affaire, l’Honorable juge Dioysia Zerbisias en était venu à la conclusion que les procédures intentées par les Appelantes, dans lesquelles elles alléguaient le risque de confusion entre deux marques de commerce, étaient manifestement mal fondées :
[52] After taking into consideration all of the facts and surrounding circumstances, to impute the likelihood of confusion between Plaintiffs and Defendant's mark to the average consumer would insult him or hereby assuming that such consumer is completely devoid of intelligence; of normal powers of observation, recollection and recognition; or, is so totally unaware or uninformed as to the environment in which they are found, that they would be easily deceived about the origin or nature of the wares they purchase. 
[53] For these reasons, therefore the Court concludes that Plaintiffs have failed to prove on a balance of probabilities that there exists any confusion, or a likelihood of confusion between their trade-mark Oasis and that of Defendant, or, that there is any likelihood of depreciation of their mark by Defendant, and, that accordingly there has been an infringement of their rights by Defendant.

À la fin de l’audition, par voie de requête verbale, l'Intimée avait demandé le remboursement de ses honoraires extrajudiciaires, alléguant que les Appelantes ne pouvaient ignorer que leurs procédures étaient vouées à l’échec.

Même si la juge Zerbisias constate qu’il n’y a pas eu abus de la procédure au sens de Viel (elle note spécifiquement qu’il n’y a eu aucune procédure interlocutoire superflue), elle prend note du fait que les Appelantes ne pouvaient ignorer le mal fondé de leurs procédures, lesquelles semblent avoir été déposées dans le seul but d’intimider l'Intimée.

Or, la Cour d'appel, même si elle est d'accord avec les principes mis de l'avant par la juge Zerbisias, ne trouve aucune assise factuelle pour la conclusion à laquelle elle en est venue:
[18] Ensuite, on ne peut dire que l'opposition et le recours étaient ab initio voués à l'échec. Si la juge a dû consacrer plus de 50 paragraphes à démontrer l'absence de risque de confusion, et ce, au terme d'un procès de cinq jours et d'un long délibéré, c'est que la chose ne sautait pas aux yeux. 
[19] Finalement, il faut se rappeler que la bonne foi se présume. Pour conclure qu’en l’espèce, les dirigeants des appelantes étaient de mauvaise foi ou ont fait preuve d'une légèreté blâmable, il faudrait des preuves ou, à tout le moins, des indices suffisamment probants. Le fait que les appelantes aient en 1988 et 1997 obtenu des renonciations à des marques de commerce comprenant le mot « oasis » à l'égard de produits ou services totalement non reliés à leurs produits ne permet pas d'inférer qu'elles se livrent systématiquement à du harcèlement ou à des menaces à l'égard de quiconque ose utiliser ce mot. Au contraire, on peut tout aussi bien y voir le désir d'une entreprise de renforcer son identification à sa marque de commerce, ce qui n'est pas interdit. Par ailleurs, on ne pouvait tirer aucune inférence valable à partir d'un jugement de la Cour fédérale qui remontait à 25 ans et qui traitait de la faiblesse de la marque de l'appelant à cette époque. 
[20] En l'instance, aucune des personnes impliquées dans ces renonciations n'a témoigné; seuls ont été produits de courts documents attestant des renonciations. Rien ne permet de déterminer si des ententes complémentaires existent ou si les personnes impliquées ont reçu des compensations financières ou ont plutôt cédé devant les procédures. Il en va de même du dossier où une injonction a été obtenue par défaut en juin 1997. 
[21] Aucun représentant des appelantes n'a fourni de réponses qui démontrent une stratégie ou une volonté d'abuser des droits conférés par la Loi sur les marques de commerce ou d'utiliser le système judiciaire pour intimider. Dans ces circonstances, la présomption de bonne foi ne pouvait être considérée repoussée. 
[22] En somme, rien n'indique en l'espèce que les appelantes poursuivaient une stratégie illégale de menaces et de harcèlement à l'égard de toute personne ou entreprise désireuse d'utiliser le mot « oasis » dans une marque de commerce, ce qui aurait pu constituer un détournement des fins de la justice. La conclusion qu'il y a eu abus au sens des art. 54.1 C.p.c. et suivants ne peut s'appuyer sur la preuve faite.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/HPl0x0

Référence neutre: [2012] ABD 102

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