mardi 17 avril 2012

Au stade de l'autorisation, le juge n'est pas lié par l'accord des parties pour produire de la preuve

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
L'on discute régulièrement de la preuve qui peut être présentée par les parties au stade de l'autorisation d'un recours collectif et du fait que cette preuve doit être permise par le juge chargé du dossier. L'affaire Allstate du Canada, compagnie d'assurances c. Agostino (2012 QCCA 678) nous offre une belle illustration de ce principe, puisque la Cour d'appel vient confirmer la presque totalité d'un jugement par lequel le juge de première instance a refusé la présentation d'une preuve à l'autorisation, nonobstant le fait que toutes les parties au litige s'entendaient sur la présentation de celle-ci.
 
Dans cette affaire, l'Intimé demande l'autorisation d'exercer un recours collectif contre l'Appelante. Il allègue que cette dernière, en sa qualité d'employeur, a unilatéralement modifié de manière substantielle certaines des conditions essentielles du contrat de travail l'unissant à l'Intimé et à plusieurs autres employés, particulièrement au chapitre de la rémunération. Cela constituerait un congédiement déguisé.

Conformément à l'article 1002 C.p.c., l'Appelante demande l'autorisation de présenter une certaine preuve au stade de l'autorisation. Or, nonobstant le fait que l'Intimé consent à la production de plusieurs des éléments que l'Appelante veut mettre devant la Cour, le juge saisi de la requête refuse de donner son autorisation, étant d'opinion que cette preuve n'est pas pertinente au stade de l'autorisation.

La Cour d'appel souligne qu'on ne peut passer outre la nécessité d'obtenir l'autorisation du juge pour déposer de la preuve, de sorte que celui-ci n'était pas lié par le consentement de l'Intimé:
[25] Il ressort clairement de cette disposition qu'à ce stade des procédures, toute preuve doit être autorisée par le juge, qui jouit à cet égard d'un vaste pouvoir discrétionnaire dont il ne peut être privé en raison d'une entente entre les parties. Celles-ci, en effet, ne peuvent simplement s'entendre sur la preuve qu'elles veulent produire et lier les mains du juge, qui conserve au contraire tout son pouvoir (même s'il lui est loisible, cela va de soi, de donner suite au consentement des parties). Conclure autrement risquerait de faire en sorte que les parties, même avec les meilleures intentions, encombrent le processus d'autorisation de données inutiles ou encore le transforment en tout autre chose que l'outil de tamisage qu'il est et doit demeurer. L'on en a d'ailleurs un bon exemple ici, comme on le verra plus loin. 
[26] Cette lecture est conforme à l'intention du législateur telle qu'elle s'infère notamment de la modification, en 2003, de l'article 1002 C.p.c. Ainsi que le rappelle la Cour dans Pharmascience inc. c. Option Consommateurs:
[...]
[27] Par conséquent, les parties ne pouvaient, en l'espèce, compter que le juge entérine tout bonnement leur « entente » sans autre discussion (et d'autant moins que l'entente en question comportait une certaine dose d'ambiguïté, comme on l'a vu). Il leur revenait — et ce fardeau incombait d'abord à l'appelante pour d'évidentes raisons — de faire des observations complètes à ce sujet, y compris quant à ce sur quoi elles s'étaient « entendues » et dont le juge devait néanmoins déterminer le caractère approprié, au sens de l'article 1002 C.p.c. C'est d'ailleurs bien là la règle par laquelle le juge s'estimait lié, ainsi que l'indiquent par exemple les paragraphes suivants de son jugement
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/IBX4NB

Référence neutre: [2012] ABD 116

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