mardi 13 mars 2012

Pour les fins de la chose jugée, il faut distinguer l'identité physique de l'identité juridique d'une partie

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

La chose jugée nécessite ce qu'on appelle la triple identité: parties, objet et cause. Lorsque l'on se penche sur l'identité de parties, il importe par ailleurs de garder à l'esprit quel l'on parle de l'identité juridique d'une partie et non d'identité physique telle que le souligne l'affaire Bédard c. Lelièvre (2012 QCCS 789).


En l'instance, le Demandeur formule une demande en injonction permanente afin qu'il soit ordonné à ses voisins, les Défendeurs, de respecter le droit de passage dont il bénéficie sur leur immeuble et afin qu'ils cessent de nuire à l'exercice de son droit de passage. Il réclame également le montant de 25 000 $ en dommages.

L'action du Demandeur est fondée en grande partie sur un jugement rendu en 2008 confirmant son droit de passage. Il invoque donc l'autorité de la chose jugée. Les Défendeurs plaident pour leur part qu'ils n'ont pas été parties dans l'instance qui a mené au jugement de 2008, de sorte qu'il n'y a pas identité de partie.

L'Honorable juge Étienne Parent souligne à cet égard qu'il faut distinguer l'identité physique et juridique. Seule cette dernière importe aux fins de la chose jugée.
[26] Dans le présent dossier, la question de l'identité des parties peut se résumer simplement : les acquéreurs de l'immeuble sont-ils liés par un jugement impliquant leur auteur, concernant des droits réels affectant l'immeuble acquis?
[27] La Cour suprême du Canada répond à cette question dans Roberge c. Bolduc.
[28] Dans cette affaire, le plus haut tribunal du pays souligne la distinction entre l'identité physique et l'identité juridique des parties.
[29] C'est cette dernière identité qui doit être analysée.
[30] La Cour suprême écrit:
La représentation des parties, équivalant à l'identité juridique, peut prendre différentes formes. En premier lieu, il est bien établi que les successeurs universels et à titre universel représentent leurs auteurs. Comme Nadeau et Ducharme l’affirment au no 573, page 473:
d'une manière générale, la chose jugée peut être invoquée par ou contre tous successeurs universels, ou à titre universel, héritiers, légataires, ou ayants cause, à l'égard des jugements rendus dans des causes dans lesquelles y figuraient leurs auteurs.
En second lieu, il ne fait aucun doute que le successeur à titre particulier est réputé représenter son auteur, dans la mesure où tous les jugements rendus contre ce dernier, avant l'acquisition de son titre, lui sont opposables en tant que chose jugée. C'est la position qu'adopte Chauveau, op. cit. au no. 104, pp. 95 et 96:
Les successeurs à titre particulier, et nous pouvons sous ce nom assimiler le légataire, donataire ou acquéreur à titre onéreux, ne sont pas tenus à toutes les obligations de leur auteur. Ils succèdent aux droits de ce dernier sur l'objet légué, donné ou acheté, avec cependant toutes les restrictions qui pouvaient entraver la propriété de leur auteur et la rendre plus ou moins parfaite. Les jugements rendus avant l'acte d'acquisition, et reconnaissant, à l'encontre de l'auteur, un droit, un privilège ou une servitude au profit d'un tiers, ont force de chose jugée à l'égard de l'ayant cause.
Royer, op. cit. au no 785, p. 190:
Les jugements, comme les contrats, produisent des effets à l'égard des héritiers et des représentants légaux. Le jugement rendu en faveur ou contre un auteur a l'autorité de la chose jugée vis-à-vis son ayant cause universel ou à titre universel. L'ayant cause à titre particulier est aussi lié par une décision rendue avant l'acquisition de son droit.
[31] Ces principes s'appliquent à l'espèce.
[32] En effet, il est admis que Isabelle Massé, en sa qualité de liquidatrice de la succession Lise Beaulieu, est l'auteure des défendeurs. Cela apparaît au surplus de la clause 2 du titre des défendeurs, qui précise que l'immeuble vendu aux défendeurs appartenait aux vendeurs « pour l'avoir acquis de la succession Lise Beaulieu. »
[33] Dans ces circonstances, l'argument du demandeur voulant que le jugement du 22 août 2008 ait l'autorité de la chose jugée en ce qu'il reconnaît le droit de passage en faveur de l'immeuble du demandeur sur une largeur de 12 pieds entre l'extrémité nord du fond dominant jusqu'au chemin public est bien fondé.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/w3hNbm

Référence neutre: [2012] ABD 81

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