vendredi 16 mars 2012

Le requérant en forum non conveniens doit faire la preuve que les tribunaux d'un autre état sont compétents pour se saisir du litige

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Les tribunaux québécois l'ont répété à maintes reprises: ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles qu'ils vont décliner compétence en vertu de la doctrine du forum non conveniens. C'est dans cette optique que la Cour d'appel, dans Bennaouar c. Machhour (2012 QCCA 469), ajoute aux critères habituels du forum non conveniens que la partie requérante doit également faire la démonstration que les tribunaux d'un autre état sont compétents pour entendre le litige.


Dans cette affaire, l'Appelant se pourvoit contre un jugement qui a accueilli une requête de l'Intimé en forum non conveniens. L'Appelant fait valoir que l'analyse des critères pertinents aurait dû amener le juge de première instance à conclure qu'il ne devait pas décliner compétence.

La Cour souligne d'abord que deux critères doivent être rencontrés pour accueillir une telle requête: (1) la situation doit être exceptionnelle et (2) un autre état doit être mieux à même de trancher le litige. Cette deuxième condition implique que la partie requérante a le fardeau de démontrer que les tribunaux de cet autre état sont compétents pour entendre le litige:
[21] Avant de commencer l'analyse, se pose une question préliminaire qui est rarement abordée. Celui qui demande au tribunal de décliner compétence doit-il faire la preuve que les autorités d'un autre État sont compétentes à se saisir du litige en vertu de leurs propres règles de compétence? S'agit-il d'une condition préalable à l'examen des facteurs de rattachement au forum étranger élaborés par la jurisprudence?
[22] Le texte de l'article 3135 C.c.Q. ne prévoit pas de disposition expresse à ce sujet. Pourtant, la preuve de cette condition préalable me semble découler de la simple logique. C'est la règle qu'a retenue mon collègue le juge Forget dans M.I.B. c. M.-P.L.:
[39] Avant de décliner compétence au profit d’un tribunal étranger, dans le cadre de l’article 3135 C.c.Q., il me paraît évident que la juge devait, au préalable, conclure que ce tribunal étranger avait compétence.
[40] Même en excluant, pour le moment, la question de savoir si le Tribunal de Grande Instance de Cayenne, Guyane française, a compétence et si l'Assignation à fin de conciliation constitue une véritable demande en divorce, je suis d'avis qu'il n'y avait pas lieu pour la Cour supérieure de décliner sa compétence en application de la théorie du forum non conveniens.
(je souligne)
[23] Bien que cette partie des motifs ne constitue pas le ratio decidendi de la décision, la règle dégagée me semble s'imposer. Dans une publication récente, les auteurs Gaudet et Ferland abondent dans le même sens :
Comme l’indique le libellé de l’article 3135 C.c.Q., un tribunal ne devrait se dessaisir d’un litige en application de la doctrine du forum non conveniens que dans des cas exceptionnels. Il n’est pas suffisant de démontrer que le litige présente peu de liens avec le Québec ou que le fait d’y tenir le procès serait peu pratique ou causerait préjudice à une partie. Il faut établir par une preuve claire que les autorités d’un autre État sont plus à même d’entendre le litige et qu’il serait nettement préférable qu’il soit entendu par elles. Cela implique évidemment que les autorités de cet autre État soient en mesure de se saisir du litige en application de leurs propres règles de compétence internationale.
(je souligne)
[24] Un survol des décisions rendues en première instance fournit un début d'explication quant à l'absence de débat sur cette question. Dans bien des cas, la compétence de l'État étranger est admise ou encore fait l'objet d'une preuve sommaire à l'aide de l'avis d'un jurisconsulte. Dans d'autres cas, le jugement n'en fait pas état sans doute parce que la question ne fut pas soulevée ou encore parce que la compétence étrangère semblait implicitement admise.
[25] L'examen de ces mêmes décisions me convainc que les juges de première instance ne sont pas indifférents à cette question. Au contraire, ils me semblent parfaitement conscients de l'enjeu. En cas de doute, ces juges vont surseoir à leurs décisions jusqu'à ce que les tribunaux étrangers se prononcent sur leur propre compétence. Une certaine doctrine a approuvé ce recours au sursis alors qu'une autre est encline à exiger la preuve de la compétence de l'État étranger à se saisir du litige. 
[26] Il n'est pas nécessaire d'établir la preuve qu'un tribunal étranger spécifique est compétent. Il suffit que les autorités d'un autre État le soient.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/yVsvMT

Référence neutre: [2012] ABD 82

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