
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Dans la plupart des affaires judiciaires, la crédibilité des témoins est le facteur déterminant dans l’ultime décision rendue par la Cour. La tâche de juger de la crédibilité des parties et témoins dans une affaire donnée revient au juge saisi du mérite de cette affaire et cette appréciation est presque inattaquable, les tribunaux d’appel ayant à maintes reprises répétés qu’ils ne peuvent intervenir en l’absence d’une erreur manifeste et déterminante. Ainsi, la question de savoir par quel moyen l’on peut attaquer la crédibilité d’un témoin prend une grande importance.
L’on entendra souvent
des juristes faire valoir que l’on peut attaquer la crédibilité d’un témoin par
tous les moyens. Comme la plupart des principes en droit, celui-ci est loin
d’être absolu. Par exemple, l’accent mis par le législateur sur la
proportionnalité et la saine administration de la justice ont amené les juges à
être de plus en plus sévères à l’égard de ce qu’ils considèrent être des
débordements au nom de l’attaque de la crédibilité. Les décisions qui indiquent
maintenant que tout n’est pas pertinent au seul nom de la crédibilité sont
légions (voir par exemple Gatti c. Barbosa Rodrigues, 2011
QCCS 5020).
Une question qui se pose régulièrement est de
savoir si l’on peut se servir de l’analyse de la crédibilité d’un témoin faite
par un autre juge, dans une autre instance. La décision récente rendue par
l'Honorable juge Yves Tardif rappelle dans l'affaire Daniel Bolduc Consultant
en douane inc. c. Renko Rubber Canada inc. (2012 QCCS 413)
traite de cette question.
Dans cette affaire, la Demanderesse recherche
une condamnation contre les Défenderesses au montant de 54 186,22 $ pour
services rendus et 174 681,85 $ à titre d'entreposage. Ces dernières rétorquent
en déposant une demande reconventionnelle au montant de 1 395 232,76 $, dont ils
se désistent le matin du premier jour de l'audience.
Comme le note le juge Tardif, la crédibilité des témoins entendus est déterminante dans cette affaire. La Demanderesse cherche à faire reproche à un des représentants des Défenderesses en utilisant certaines conclusions quant à sa crédibilité tirées par un autre juge dans une autre affaire judiciaire, ce à quoi les Défenderesses s’objectent.
Même s’il souligne que l’analyse de la
crédibilité des témoins lui revient, le juge Tardif accepte de prendre en
considération cette preuve. Il s’exprime ainsi :
[10] Troisièmement, voici ce qu'écrivait l'honorable Hélène Morin le 18 juin 2008: "Bien que je ne croie pas John Gorenko,". Dans cette affaire, Gorenko et sa compagnie étaient accusés d'"actes criminels prévus à l'article 239 de la Loi de l'Impôt sur le revenu". La poursuite alléguait que les accusés réclamaient "le remboursement de dépenses factices pour les années d'imposition se terminant le 31 janvier des années 1990 à 1993. La réclamation et le remboursement de ces dépenses auraient permis à la famille Gorenko de mener, au fil des ans, un train de vie incompatible avec les déclarations de revenus personnelles produites par ses membres et celles de la compagnie."
[11] Gorenko fut acquitté parce que "l'ensemble de la preuve, incluant son témoignage, soulève dans l'esprit du Tribunal un doute quant aux éléments essentiels dont la poursuite devait me convaincre hors de tout doute raisonnable."
[12] Il est évident que la Cour n'est pas liée par l'opinion de l'honorable Hélène Morin sur la crédibilité de Gorenko. Elle doit s'en tenir au présent dossier, à la preuve faite devant elle et au témoignage de Gorenko. Cependant, même si on ne peut affirmer "menteur un jour, menteur toujours", tout ceci ne rehausse pas la crédibilité de Gorenko, seul témoin pour les défenderesses. »
Cette décision n’est pas inusitée. Il en existe
d’autres, particulièrement à l’égard de témoins experts, où les tribunaux
acceptent de prendre connaissance et de donner un certain poids aux conclusions
tirées dans une autre affaire sur la crédibilité d’un témoin. Cela n’empêche pas
le soussigné de se questionner sur cette approche.
Il me semble préférable pour chaque juge d’en
arriver à ses conclusions sur des questions de crédibilité de manière
complètement indépendante. En effet, le juge n’a pas devant lui la preuve qui a
mené à la conclusion du juge précédent sur la crédibilité d’un témoin et ne peut
donc se satisfaire lui-même que cette conclusion était justifiée. Qui plus est,
cela place la partie qui produit ce témoin dans la situation inusitée de devoir
plaider les faits d’une affaire différente pour tenter de défendre sa
crédibilité.
Reste à savoir comment évoluera la
jurisprudence sur la question, mais, pour l’instant, l’affaire Daniel Bolduc
consultant semble refléter le courant majoritaire, i.e. que le juge peut prendre
connaissance de l’autre jugement et le prendre en considération, mais qu’il ne
peut, ce faisant, abdiquer son rôle d’ultimement juger de la crédibilité de
chaque témoin.
Référence neutre: [2012] ABD 77
Le présent billet a originalement été publié
sur Droit Inc. (www.droit-inc.com).
Aucun commentaire:
Publier un commentaire
Notre équipe vous encourage fortement à partager avec nous et nos lecteurs vos commentaires et impressions afin d'alimenter les discussions à propos de nos billets. Cependant, afin d'éviter les abus et les dérapages, veuillez noter que tout commentaire devra être approuvé par un modérateur avant d'être publié et que nous conservons l'entière discrétion de ne pas publier tout commentaire jugé inapproprié.