Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Le droit québécois reconnaît l'existence de la
prescription extinctive d'un droit d'action ou des droits qui découlent d'un
jugement. Mais reconnaît-il la prescription d'une instance en cours? C'est la
question à laquelle devait répondre la Cour dans l'affaire Popescu c.
Kokorogiannis (2012 QCCS 1048).
Dans cette affaire, le Demandeur signifie son
action en 1994. Cependant, le dossier est inactif pendant plusieurs années (pour
une multitude de raisons qui ne sont pas importantes pour les fins du présent
billet) et il n'est inscrit pour enquête et audition qu'en 2007. Le Défendeur
plaide que l'instance est prescrite, i.e. que le Demandeur avait dix ans
inscrire la cause à partir de la date de signification.
L'Honorable juge Jean Guibault est saisi de la
question et doit déterminer si la prescription de l'instance existe en droit
québécois. Il en vient à une réponse négative sur la question:
[59] À l’appui de sa prétention à l’effet qu’il doit y avoir prescription d’instance, le procureur du défendeur a présenté une longue analyse du droit français et de son évolution depuis le code Napoléon pour conclure que les tribunaux français avaient retenu la notion de prescription d’instance et qu’il y avait lieu d’introduire cette notion dans notre droit.
[60] Quoique très intéressante, le Tribunal ne peut partager cette approche et c’est strictement en fonction du droit québécois qu’il y a lieu de déterminer si cette notion existe ou non et si elle est applicable au présent dossier.
[61] L’article 2265 C.c.B.C. se lisait comme suit :
La poursuite non déclarée périmée et la condamnation en justice, forment un titre qui ne se prescrit que par trente ans, quoique ce qui en fait le sujet soit plus tôt prescriptible.
L’aveu judiciaire opère interruption, même dans une instance déclarée périmée ou autrement inefficace pour avoir seule cet effet; mais la prescription qui recommence n’est pas pour cela prolongée.
[62] Toute référence à la notion de prescription de l’instance a été enlevée dans le nouveau Code civil du Québec lors de son l’entrée en vigueur en 1994, et elle ne peut être réintroduite par le Tribunal. Il s’agit d’une notion de droit substantif et seul le législateur peut se permettre d’intervenir pour modifier l’article 2924 du nouveau code qui ne prévoit que la prescription du jugement.
[63] Dans ses commentaires sur l’article 2924 du nouveau code, le ministre de la Justice écrit :
« Cet article reprend substantiellement l’article 2265 C.C.B.C., mais ramène à dix ans le délai de trente ans que fixait cet article. Le droit qui résulte d’un jugement et qui forme un titre régi par la prescription des jugements, vise essentiellement le jugement, générateur d’une obligation de faire ou de ne pas faire, qui porte condamnation en justice et a force exécutoire; c’est ce jugement qui forme un nouveau titre de créance, qui se substitue à l’ancienne créance. »
[64] Bien au fait de l’existence de la prescription d’instance suivant l’article 2265 prévu au Code civil du Bas Canada, le ministre insiste sur la prescription du jugement en excluant toute référence à la prescription d’instance, et le Tribunal ne peut légiférer au lieu et place du législateur.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/H0vfnj[65] Le défendeur plaide qu’une instance doit être inscrite dans un délai de dix ans et qu’à défaut, il y aura prescription d’instance telle que reconnue par le droit français. Qu’en est-il d’une instance qui progresse lentement avec de nombreux délais pour production d’engagements, interrogatoires hors cour, expertises multiples, et qui ne pourrait être inscrite dans ledit délai? Y a-t-il suspension du délai de prescription et pour quelle période chaque fois qu’il y a une procédure utile de présentée dans un dossier? Qu’en est-il de la prescription si l’inscription est rayée? Aucune réponse à ces questions n’a été suggérée par la défense et le seul fait de les soulever nous démontre l’incompatibilité de l’introduction d’un délai de prescription d’instance de dix ans avec une saine administration de la justice et la préservation des droits des parties.
Référence neutre: [2012] ABD 99
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