vendredi 24 février 2012

Les travaux prolongés à un immeuble peuvent causer l'absence de jouissance paisible des lieux et justifier la résiliation unilatérale d'un bail commercial

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Le Code civil impose au locateur le devoir de fournir à son locataire la jouissance paisible des lieux. Cela n'est pas toujours évident à accomplir lorsque des travaux de réfection majeurs sont nécessaires à l'immeuble. Reste que de tels travaux, s'ils trainent et affectent substantiellement l'exploitation d'un commerce, peuvent donner un motif valable à un locataire commercial de résilier unilatéralement son bail comme l'indique l'affaire Tadros c. Services gestions finance AT inc. (2012 QCCQ 682).


Dans cette affaire, les Demandeurs poursuivent la Défenderesse pour la somme de 13 538,20 $ en vertu d'un bail commercial. Ils reprochent à la Défenderesse d'avoir déménagé sans motif valable, six mois avant la fin du bail et lui réclament six mois de loyer.

La Défenderesse conteste la réclamation. Elle soulève que les Demandeurs n'ont pas respecté leurs obligations en vertu du bail, notamment pour avoir installé des échafaudages au-dessus de l'entrée des locaux loués et avoir omis d'effectuer dans un délai raisonnable les réparations urgentes pour corriger des problèmes de structure qui affectaient la façade de l'immeuble.

L'Honorable juge Daniel Dortélus en vient à la conclusion que les échafaudages installés par les Demandeurs étant restés en place trop longtemps et ayant causé la perte de la jouissance paisible des lieux pour la Défenderesse, cette dernière était justifiée de résilier unilatéralement son bail:
[39] Il ressort de la preuve qu’en raison des problèmes de structure affectant la façade de l'immeuble, qui s'est aggravé vers le 22 janvier 2011, plusieurs dalles de ciment menacent de s'effondrer. Il s'agit de dalles de parement, d'une dimension d'environ 3 pieds x 3 pieds, situées au-dessus de la porte d'entrée du commerce.
[40] La situation est dangereuse au point que les pompiers doivent ordonner l'évacuation et interdire l'accès au commerce. Dans le rapport d'intervention des pompiers, il est question de démolition du mur de la façade, le lendemain de leurs interventions, ce qui est nié par M.Tadros.
[41] M. Francesco Demassi qui a procédé à l'installation des échafauds affirme que les planches et le filet mises en place suffisaient pour sécuriser les lieux et prévenir tout dommage pouvant résulter de la chute des dalles de ciment, en attendant l'exécution des travaux prévus au mois d'avril 2011.
[42] La prétention des demandeurs voulant que suite à l'installation des échafauds, la situation dangereuse constatée par les pompiers n'existe plus, n'est pas dénuée de fondement, car les autorités municipales et les pompiers ont toléré cette situation durant plusieurs mois.  
[43] Il reste à déterminer si les échafauds installés en avant du commerce de la défenderesse constituent une violation de l'obligation de procurer la jouissance paisible des lieux loués, au point de justifier la résiliation du bail.
[44] Essentiellement M. Terriaca soulève que les échafauds ont eu pour effet de barricader le commerce de la défenderesse et lui enlever toute visibilité. Elle ne peut pas installer son enseigne. 
[45] Il y a preuve suffisante que les échafauds installés directement en avant du commerce de la défenderesse enlevaient la visibilité de son commerce.
[46] Le fait pour les demandeurs de maintenir à long terme cette structure qui s'apparente à une sorte de « chantier de construction », en avant du commerce de la défenderesse, affecte la jouissance paisible des lieux.
[47] Selon les principes établis par jurisprudence citée précédemment :
La jouissance paisible des lieux ne se limite pas seulement à l’espace loué décrit au bail. En effet, la jurisprudence a étendu "la jouissance" non seulement à ce qui est loué, mais également à tout ce qui est nécessaire à l’utilisation des lieux loués. Ici, il faut un environnement de commerces ouverts pour attirer les gens qui passent à s'arrêter au moins quelques instants prendre un café dans un endroit éclairé, ouvert et accueillant. Personne ne veut se tenir dans un endroit désert.
[48] Le Tribunal retient de la preuve que suite à l'installation des échafauds, le commerce de la défenderesse se retrouve dans un environnement peu propice à attirer et accueillir des gens qui passent sur la rue. Il est logique de déduire que cette situation est de nature à affecter la clientèle de la défenderesse.
[49] Vu la nature du commerce opéré par la défenderesse, le Tribunal estime que la perte de jouissance dont il s'agit ici est substantielle.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/wBjnVV

Référence neutre: [2012] ABD 60

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