vendredi 10 février 2012

L’épineuse question de la garantie légale

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
L’article 38 de la Loi sur la protection du consommateur (la « LPC ») vient simultanément offrir une protection intéressante pour tous les consommateurs et causer confusion et incertitude tant chez les commerçants que les consommateurs. Pas surprenant alors d’apprendre qu’il s’agit d’une disposition particulièrement controversée. C’est la décision rendue récemment par le juge André Prévost dans Toure c. Brault & Martineau inc. (2012 QCCS 99), laquelle reconnaît explicitement cette difficulté, qui m’amène aujourd’hui à vous entretenir brièvement sur le sujet.
Le cadre législatif
L’article 38 de la LPC prévoit que le « … bien qui fait l'objet d'un contrat doit être tel qu'il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d'utilisation du bien ». Il crée donc une garantie légale de qualité d’un bien. Son objectif est certainement louable, i.e. d’assurer au consommateur un recours plus simple et une protection minimale lorsqu’il achète ce que l’on appelle communément un « citron ». On peut facilement imaginer des circonstances où l’application de cette garantie est évidente. Par exemple, une auto neuve pour laquelle on débourse environ 30 000$ ne devrait pas cesser de fonctionner adéquatement après 18 mois. L’article 38 vise à assurer au consommateur un recours même en l’absence d’une garantie conventionnelle.
Par ailleurs, la difficulté que cet article pose est son manque de délimitation temporelle et comparative. Ainsi, l’on sait qu’un four à micro-ondes neuf acheté au prix de 300$ devrait toujours fonctionner normalement après six mois, mais quand s’arrête cette protection? Neuf, douze, quinze, dix-huit mois? Impossible pour le consommateur de le savoir. L’appréciation doit en être faite au cas par cas par un juge. Il s’agit là du premier grand obstacle à l’efficacité de la garantie légale stipulée par l’article 38.
Le deuxième grand obstacle est la méconnaissance générale des consommateurs quant à l’existence de cette garantie. Non seulement est-elle méconnue, mais on comprend facilement que les commerçants qui tentent de convaincre leurs clients d’acheter des garanties conventionnelles ou prolongées ne s’empressent pas d’informer lesdits clients de l’existence de la garantie légale. C’est à ce problème que le législateur a tenté de remédier en introduisant le nouvel article 228.1 à la LPC en juin 2010.
Cet article se lit comme suit :
Le commerçant doit, avant de proposer au consommateur de conclure, à titre onéreux, un contrat comprenant une garantie supplémentaire relative à un bien, l'informer verbalement et par écrit, de la manière prescrite par règlement, de l'existence et du contenu de la garantie prévue aux articles 37 et 38.
Dans un tel cas, il doit également, le cas échéant, l'informer verbalement de l'existence et de la durée de la garantie du fabricant offerte gratuitement à l'égard de ce bien. À la demande du consommateur, il doit aussi l'informer verbalement de la façon pour lui de prendre connaissance de l'ensemble des autres éléments de cette garantie.
Le commerçant qui propose à un consommateur de conclure un contrat comprenant une garantie supplémentaire relative à un bien sans lui transmettre préalablement les informations prévues au présent article est réputé passer sous silence un fait important et, par voie de conséquence, se livrer à une pratique interdite visée à l'article 228.
Sans surprise, l’introduction de cet article dans ce qui était à l’époque un projet de loi avait soulevé l'ire des associations et regroupements de commerçants en commission parlementaire. Outre le fait qu’elle n’était pas surprenante, cette position était également raisonnable. En effet, on impose aux commerçants l’obligation de devenir en quelque sorte les conseillers juridiques instantanés de leur client. Pire encore, c’est une tâche presque impossible à remplir à la lumière de la grande imprécision de cette garantie légale, tel que mentionné ci-dessus.

Le législateur devait faire un choix difficile. D’un côté, plus d’information pour les consommateurs sur un sujet où ils sont traditionnellement chroniquement mal informés. De l’autre, une obligation exorbitante pour les commerçants. Comme vous l’avez deviné par le fait que l’article 228.1 fait partie de la LPC aujourd’hui, le législateur a penché du côté du consommateur.

Reste que 18 mois après l’entrée en vigueur de cet amendement à la LPC, vous aurez beaucoup de facilité à trouver des commerçants qui ne respectent pas l’article 228.1. D’où les inévitables recours collectifs, dont l’affaire Toure fait partie.

Les faits de l’affaire

Dans cette affaire, le requérant désire représenter toutes les personnes physiques s’étant vues proposer ou ayant acheté au Québec une garantie prolongée sur des biens vendus par l’intimée. Le groupe proposé couvre tant les achats avant le 30 juin 2010 (date d'entrée en vigueur de l'article 228.1) et après. Il est allégué que l'intimée ne respecte pas la L.p.c. en avisant pas les consommateurs de l'existence de la garantie légale et qu'elle se livre à de fausses représentations en indiquant aux consommateurs que s'ils n'achètent pas de garantie prolongée, ils n'auront aucune protection une fois la garantie du manufacturier expirée.

Le juge Prévost refuse d’autoriser le recours collectif pour plusieurs motifs qui ne sont pas le propos du présent billet, mais il formule également des commentaires très intéressants sur la garantie légale. Plus particulièrement, il rejette la prétention du Requérant à l’effet que la garantie prolongée offerte par l’Intimée est inutile en raison de l’existence de la garantie légale :
(31) La garantie légale, que reprennent les articles 37, 38 et 53 L.p.c., comporte une obligation à durée indéterminée qui nécessite la preuve, par celui qui l’invoque, des éléments suivants :
a. la présence d’un vice caché;
b. suffisamment grave;
c. existant au moment de la vente; et
d. inconnu de l’acheteur.
(32) L’un des éléments de cette preuve qui pose généralement le plus de difficulté est celui relatif à la gravité du vice. Voici ce qu’en dit la Cour suprême dans ABB inc. c. Domtar inc.: «52 la simple présence d’un déficit d’usage ne suffit pas en elle-même pour justifier la qualification de vice caché. Encore faut-il que ce déficit d’usage soit grave, c’est-à-dire qu’il rende le bien impropre à l’usage auquel il est destiné ou en diminue tellement l’utilité que son acheteur ne l’aurait pas acheté à ce prix. Ce deuxième critère, celui de la gravité du vice, découle du texte de l’art. 1522 C.c.B.C. Cela dit, il n’est pas nécessaire que le vice empêche toute utilisation du bien, mais simplement qu’il en réduise l’utilité de façon importante, en regard des attentes légitimes d’un acheteur prudent et diligent.»
(33) Il est souvent difficile de déterminer si la défectuosité du bien est d’une gravité telle qu’elle correspond à un vice caché. Il en est de même de l’interprétation et de l’application des concepts d’« attentes légitimes » et d’acheteur «prudent et diligent» qui peuvent varier d’une affaire à l’autre.
(34) En somme, hormis les cas où le vice caché est flagrant, il peut être difficile pour un consommateur d’établir les éléments qui permettent d’invoquer la garantie légale avec succès.
(35) Il en est autrement de la garantie conventionnelle. De par sa nature même, elle est généralement exprimée en termes clairs tant à l’égard de sa durée que de sa portée, ce qui comporte un avantage pour le consommateur.
(36) Ici, M. Toure a acheté, le 19 décembre 2007, un plan de protection ajoutant quatre années à la garantie d’un an du fabricant sur les appareils achetés.
(37) Cette garantie conventionnelle est différente de la garantie pour vice caché. Elle assure à l’acheteur une certaine tranquillité d’esprit pour une période définie. Elle l’assure des mêmes bénéfices que ceux offerts par la garantie du fabricant. Elle inclut certains services tels l’entretien préventif, le déplacement du technicien à domicile et le remplacement de pièces défectueuses sans qu’il ne soit nécessaire pour le consommateur de prouver un vice caché de l’appareil.
(38) Le Tribunal n’est pas appelé à décider si le prix payé pour la garantie prolongée est ou non raisonnable en fonction des services qu’elle offre.
(39) Le requérant prend plutôt une position plus radicale. Il prétend que la garantie prolongée n’offre rien de plus, sinon moins, que ce que couvre la garantie légale. Or, comme nous l’avons déjà constaté, cela est inexact.
L’on constate des propos du juge Prévost cette reconnaissance du caractère incertain et, à certains égards, confus de la garantie légale. C’est pourquoi il ne peut se rallier à la position du Requérant à l’effet que la garantie prolongée offerte par l’Intimée est inutile.

Cela nous ramène à la case départ et à la conclusion que la garantie légale de qualité d’un bien prévue par la LPC, bien que louable et généralement désirable, demeure d’un impact pratique bien limité.

Référence neutre: [2012] ABD 46

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