mardi 21 février 2012

Le refus pour un employé de signer une clause de non-concurrence n'est pas un motif suffisant pour le congédier

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Est considérée une cause juste et suffisante pour mettre fin à un contrat d'emploi le manquement grave d'un employé à une obligation contractuelle importante. Est-ce dire que l'employé qui s'est engagé à signer une clause de non-concurrence, mais qui refuse de signer celle qu'on lui présente au motif qu'elle est trop large peut être congédié? Selon la Cour d'appel dans l'affaire Jean c. Omegachem inc. (2012 QCCA 232), la réponse à cette question est négative.


Congédié par l'Intimée parce qu'il refuse de signer en cours d'emploi une clause de non-concurrence, l'Appelant a initialement déposé une plainte à la Commission des relations du travail, en vertu de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail. Cette plainte a été rejetée par la Commission, tant en première instance qu'en révision, et la Cour supérieure a refusé d'intervenir en révision judiciaire.

Fait important, le contrat d'emploi initialement signé par le salarié prévoyait qu'il s'engageait à signer une entente de non-concurrence. Pour des raisons qui ne sont pas expliquées, l'employeur attend trois ans avant de lui soumettre la clause qu'il désire être signée. Le libellé de celle-ci n'est pas acceptable à l'Appelant qui la refuse.

La Cour d'appel renverse cette décision. Selon l'Honorable juge Jean Bouchard, au nom d'un banc unanime, la décision de la Commission n'était pas raisonnable. L'Intimée ne pouvait insister sur la signature d'une clause de non-concurrence dont la teneur n'était pas acceptable pour l'Appelant et le congédier en raison de son refus:
[34] L'appelant est embauché en 2002 pour un an à titre de chimiste. À supposer qu'il pouvait s'engager légalement à cette époque à signer dans l'abstrait une clause de non-concurrence, sujet sur lequel je reviendrai plus loin, reste qu'aucune clause ne lui a été présentée à son arrivée comme le stipulait sa lettre d'embauche datée du 6 juin 2002.
[35] Près d'une année s'écoule ensuite au terme de laquelle l'appelant passe du statut de chimiste à celui de directeur de production et des procédés et voit ses conditions de travail modifiées. Il n'est nullement question alors d'une clause de non-concurrence. C'est seulement à la mi-mars 2005 qu'il est invité à signer une telle clause pour la première fois depuis son engagement initial en juin 2002.
[36] Dans ce contexte, je ne crois pas que la commissaire pouvait conclure, au regard des faits, que l'appelant a violé une condition essentielle de son contrat de travail. C'est lors de son arrivée qu'une clause de non-concurrence devait lui être présentée pour signature. Ses conditions de travail ayant été modifiées l'année suivante, un nouveau contrat est intervenu entre l'appelant et l'intimée, lequel passe sous silence l'engagement de non-concurrence de l'année précédente. À mon avis, la commissaire ne pouvait pas conclure comme elle l'a fait, tout en omettant de prendre position relativement à ces éléments factuels précis. C'est là une lacune importante à la justification de sa décision qui affecte la raisonnabilité de celle-ci.
[37] La commissaire aurait dû également, au regard du droit cette fois, considérer le formalisme de l'article 2089 al. 1 C.c.Q. qui prévoit que la clause de non-concurrence, pour être valide, doit être stipulée par écrit et en termes exprès. Si on ajoute à cela la règle édictée par l'article 1373 C.c.Q. suivant laquelle la prestation du débiteur doit être déterminée ou déterminable, force est d'admettre que l'engagement stipulé dans la lettre d'embauche de 2002 ne pouvait constituer une obligation contractuelle valide, à moins bien sûr de considérer que l'appelant pouvait légalement s'engager tout en ignorant la teneur de son obligation. Admettre cela reviendrait à dire que l'intimée aurait pu, par exemple, forcer l'appelant à signer une clause clairement illégale sans que ce dernier ne trouve rien à redire simplement parce qu'il a souscrit au principe de ne pas faire concurrence à son employeur. À mon avis, c'est là une proposition inacceptable en droit.
[38] De fait, la commissaire aurait dû considérer la légalité de la clause de non-concurrence à la lumière des critères mentionnés à l'article 2089 al. 2 C.c.Q. L'appelant n'a-t-il pas été congédié pour avoir refusé de signer une telle clause? Il est pour le moins étonnant que la commissaire soit demeurée silencieuse sur un aspect aussi important du dossier. À mon avis, son analyse ne pouvait pas se faire dans l'abstrait, c'est-à-dire uniquement sur la base de l'engagement général souscrit par l'appelant en 2002.
[39] Or, à sa face même, la dernière clause que l'intimée a présentée à l'appelant pose un problème au niveau du territoire qu'elle couvre, soit « partout à travers le monde ». Selon l'article 2089 al. 2 C.c.Q., une clause de non-concurrence est valide si elle est limitée quant au temps, au lieu et au genre de travail. Aussi, je ne vois pas comment on peut affirmer qu'une clause est limitée quant au lieu si elle a la prétention de s'appliquer « partout à travers le monde »!
[...]
[45] Dans les circonstances, congédier sans préavis un salarié qui refuse de signer en cours d'emploi une clause de non-concurrence qu'on lui présente pour la première fois trois ans après son entrée en fonction n'est clairement pas une cause juste et suffisante.
Commentaire:

Nous ne surprendrons personne en disant que la pratique, heureusement peu répandue, de prévoir l'obligation pour un employé de signer ultérieurement un engagement de non-concurrence n'est pas recommandable. Il est fortement dans l'intérêt de l'employeur de s'assurer qu'un tel engagement est en place avant le début de l'emploi pour assurer la prévisibilité et l'efficacité de l'obligation.

Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/yxqQus

Référence neutre: [2012] ABD 56

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