mardi 17 janvier 2012

Une bande indienne ou un conseil de bande n'a pas la personnalité juridique, mais il a néanmoins la capacité d'ester en justice

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

En principe, il faut être doté de la personnalité juridique pour pouvoir ester en justice. Cependant, le législateur a créé des exceptions à cette règle. On peut penser, par exemple, aux sociétés de personnes qui n'ont pas la personnalité juridique (art. 2188 C.c.Q) mais qui peuvent ester en justice (art. 2225 C.c.Q.). Selon les enseignements de la Cour d'appel dans Crevette du Nord Atlantique inc. c. Conseil de la Première Nation malécite de Viger (2012 QCCA 7), il en est de même pour les bandes indiennes ou les conseils de bande.
 
Dans cette affaire, l'Appelante se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure qui a accueilli en partie la requête introductive d'instance de l'Intimé, le Conseil de bande de la Première Nation Malécite de Viger, en revendication, en injonction et en dommages-intérêts.
Pour la première fois en appel, l'Appelante fait valoir que l'Intimé n'a pas la capacité d'ester en justice puisque le conseil de bande n'a pas la personnalité juridique. Selon l'Appelante, c'est la Première Nation qui, à titre de propriétaire, a l'intérêt requis pour agir.
L'Honorable juge France Thibault, au nom d'un banc unanime, en vient à la conclusion que la bande, bien qu'elle ne possède pas la personnalité juridique, a la capacité d'ester en justice:
[42] Pour la première fois en appel, l'appelante plaide que l'intimé n'a pas l'intérêt juridique pour réclamer une indemnisation pour la vente des crevettes durant la saison de pêche 2005, puisque cette ressource ne lui appartient pas. Seule la Première Nation, à titre de propriétaire, posséderait un tel intérêt. Le juge d'instance aurait commis une erreur en confondant le patrimoine de l'intimé et celui de la Première Nation, comme si ces deux entités constituaient une même personne.
[43] Selon l'arrêt rendu par la Cour suprême dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Francis, une bande indienne et un conseil de bande ne possèdent pas la personnalité juridique. En revanche, un jugement rendu par la Cour fédérale reconnaît qu'une bande indienne ou un conseil de bande peut ester en justice malgré l'absence d'une personnalité juridique. Cette capacité implicite découle des droits et obligations confiés à la bande et au conseil par la Loi sur les Indiens. D'ailleurs, dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Francis précité, la Cour suprême précise que l'absence de personnalité juridique d'un conseil de bande ne l'empêche pas d'être considéré comme un employeur aux termes du Code canadien du travail, puisque la Loi sur les Indiens lui a conféré le pouvoir d'embauche.
[44] L'auteure Macaulay rappelle que l'arrêt Alliance de la Fonction publique du Canada c. Francis a favorisé le développement de modus operandi différents relativement à la capacité d'une bande indienne d'intenter une poursuite en justice en son propre nom :
Because of the apparent continuing lack of agreement regarding the status of a Band to sue in its own name, some counsel acting for Bands continue to bring representative actions. Others commence actions in the Band's name, and no question is raised as to the propriety of doing so.
[45] Le professeur Grammond écrit pour sa part que la jurisprudence majoritaire a clairement penché en faveur de la reconnaissance d'une certaine capacité d'ester en justice pour une bande indienne :
La position généralement adoptée par les tribunaux est plutôt que les bandes indiennes constituent des entités sui generis qui possèdent le pouvoir d'ester en justice dans la mesure où ce pouvoir est accessoire à l'exercice des pouvoirs attribués par la Loi.
[46] L'appelante reconnaît que la bande et le conseil de bande peuvent ester en justice, mais elle fait valoir que, en l'espèce, seule la Première Nation pouvait agir puisque les réclamations portent sur son patrimoine. L'intimé pouvait-il réclamer les sommes dues à la Première Nation ainsi que les dommages subis par cette dernière ?
[...]
[50] Afin de permettre à la Première Nation d'exercer ses droits et puisque l'intimé est considéré comme une « organisation autochtone » au sens de la réglementation applicable, je suis d'avis que, en l'espèce, l'intimé possède la capacité juridique implicite requise pour ester en justice. Le professeur Grammond indique d'ailleurs que les tribunaux, en raison des difficultés occasionnées par la rédaction de la Loi sur les Indiens, ne s'arrêtent pas à cette technicité et admettent notamment une poursuite en dommages dirigée contre une bande indienne ou son conseil.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/xFQdzn

Référence neutre: [2012] ABD 22

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