La Régie du logement a-t-elle les pouvoirs
nécessaires pour décréter que des procédures prises devant elle sont abusives?
C'est la question qui se posait dans l'affaire Pickard c. Olivier (2012 QCCA
28) et à laquelle la Cour d'appel a répondu par l'affirmative le 11 janvier
dernier dans un jugement rendu au nom d'un banc unanime par l'Honorable juge
Pierre J. Dalphond.
À la
suite d’un bail de quelques mois relatif à une résidence, les Appelants
(ex-locataires) réclament devant la Régie du logement divers dommages qui, après
quatre amendements, totalisent aujourd'hui plus de 31 000 $. D’avis
que les Appelants ont fait preuve de mauvaise foi tout au long du bail et que
leurs procédures devant la Régie sont abusives, Les Intimés ont entrepris une
action en dommages et intérêts devant la Cour du Québec. Ils y réclament 15 000
$ en dommages et intérêts et 5 000 $ en dommages-intérêts punitifs.
Les Appelants font valoir que ce litige relève également de la Régie et ils demandent le rejet des procédures en Cour du Québec. Cette requête est rejetée au motif que la Régie n'a pas compétence en la matière. C'est de ce jugement que la Cour est saisie.
Le juge Dalphond rappelle d'abord que le législateur a modifié la Loi sur la Régie du logement en décembre 2010 pour donner à cette dernière le pouvoir de constater l'abus de procédure et de prendre des mesures pour stopper celui-ci. Puisque la Régie a le plein pouvoir de constater l'abus, on ne peut s'adresser aux tribunaux judiciaires pour obtenir une telle déclaration:
[15] Cela exposé, je suis d'avis qu’à la suite des amendements entrés en vigueur le 10 décembre 2010, l’action intentée devant la Cour du Québec, le 16 décembre 2010, était irrecevable.
[16] Puisque la Régie a la compétence pour réagir, même d'office, à un recours abusif, c'est devant elle que les intimés doivent faire valoir leur prétention que le recours des appelants est abusif. Prétendre qu'on peut aussi plaider une telle nature d'un recours pendant à la Régie devant la Cour du Québec ou la Cour supérieure, selon le montant des dommages réclamés, m'apparaît contraire à l'intention législative de conférer à un organisme administratif spécialisé les litiges relatifs aux baux résidentiels, lequel est forcément le mieux placé pour décider si une procédure devant lui est abusive ou dilatoire, et exposerait les parties au danger de décisions contradictoires (cours de justice versus Régie).
[17] En résumé, il revient à la Régie de statuer sur la nature du comportement des appelants devant elle, notamment le caractère abusif de leurs demandes et amendements.
Cette conclusion n'est pas changée par le fait
que la Régie n'a pas compétence pour prononcer une condamnation en dommages et
intérêts après avoir constaté l'abus selon le juge Dalphond. Un tel recours ne
pourrait être pris devant les tribunaux judiciaires qu'après que la Régie en
soit venue à la conclusion que les procédures devant elle étaient
abusives:
[18] Les intimés rétorquent qu'ils sont en présence d'un recours abusif, ce qui constitue une faute civile (Viel c. Entreprises Immobilières du Terroir ltée, [2002] R.J.Q. 1262 (C.A.)) que la Régie ne peut indemniser. Par conséquent, ils peuvent se tourner vers la cour de justice compétente, selon le montant des dommages réclamés.
[19] À cela, je réponds deux choses. D'abord, la Régie se voit accorder par l'article 63.2 le pouvoir non seulement de rejeter la procédure abusive ou dilatoire, mais aussi celui d'assujettir sa continuation de conditions.
[20] Ensuite, le droit de réclamer des dommages pour abus du droit d'ester devant la Régie ne peut naître qu'à la suite d'une décision de cette dernière ayant conclu à un recours abusif ou dilatoire. Par analogie avec la jurisprudence de la Cour sous l'art. 524 C.p.c., on peut dire que la détermination du caractère abusif de la procédure (la faute) relève exclusivement de la Régie, alors que le tribunal judiciaire saisi du recours civil n'aura qu'à quantifier le préjudice découlant de cette faute (P. Talbot inc. c. Bellemare, [1988] R.D.J. 596 (C.A.); Les Jardins Tuileries ltée c. Filler, [1989] R.D.J. 197 (C.A.); Entreprises Canabec inc. c. Laframboise, J.E. 97-1087 (C.A.)).
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/w4meZ1[21] De toute façon, dans la plupart des cas, le rejet rapide d'un recours abusif ou dilatoire fera en sorte que le préjudice subi par la partie abusée sera de peu d'importance, s'il en est. Il s’agira donc, dans la majorité des cas, du remède approprié pour la partie visée par la procédure abusive
Référence neutre: [2012] ABD 20
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