mardi 3 janvier 2012

La Cour d'appel confirme: le délai prévu à l'article 123.7 LNT pour faire valoir le harcèlement psychologique est un délai de prescription et non de déchéance

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
 
Le 23 juillet 2010, nous attirions votre attention sur une décision de la Cour supérieure où l'Honorable juge Pierre-C. Gagnon en venait à la conclusion que le délai prévu à l'article 123.7 de la Loi sur les normes du travail pour faire valoir une plainte de harcèlement psychologique en était un de prescription et non de déchéance (voir notre billet ici: http://bit.ly/9gUrs4). Dans Global Credit & Collection Inc. c. Rolland (2011 QCCA 2278), la Cour d'appel est venue confirmer ce jugement.
 
Un rappel sommaire de la trame factuelle s'impose.

Dans cette affaire, l'employé se plaint de harcèlement psychologique découlant d'évènements s'étant produits de novembre 2006 au 2 février 2007. Sa plainte n'est déposée que le 10 mai 2007, à l'extérieur du délai applicable de 90 jours. Or, l'employeur ne soulève pas cette question lors de l'audition initiale et la Commission accueille la plainte déposée. En révision, l'employeur fait valoir que la Commission a erré en ne soulevant pas le délai d'office. Ainsi, la question de savoir s'il s'agit d'un délai de prescription ou un délai de déchéance est d'une grande importance (art. 2878 C.c.Q.).

En Cour supérieure, le juge Gagnon en vient à la conclusion que le délai prévu à l'article 123.7 est un délai de prescription et non un délai de déchéance. L'employeur porte ce jugement en appel.

La Cour d'appel confirme le jugement de première instance. Ce faisant elle discute des indices qui peuvent mener à la conclusion qu'un délai donné pourrait en être un de déchéance nonobstant l'absence de mention expresse de la part du législateur:
[30] L'appelante soutient que la brièveté du délai révèle ici que le législateur avait l'intention d'en faire un délai de déchéance plutôt qu'un délai de prescription. Il est vrai que notre Cour a assimilé, dans Aliments Carrière inc. c. Dubuc, le délai de 90 jours prévu à l'article 1117 C.c.Q. à un délai de déchéance. Cependant, la Commission a raison de noter que le délai de l'article 123.7 L.n.t. est plus long que d'autres délais prévus à la L.n.t et au Code du travail, L.R.Q., c. C-27 (« C.t. »)., tels que le délai de 45 jours de l'article 124 L.n.t. ou le délai de 30 jours de l'article 16 C.t.. De plus, il existe plusieurs exemples de délais inférieurs à la prescription de trois ans qui sont qualifiés de délais de prescription par la doctrine et la jurisprudence. Le critère de la brièveté, bien qu'il semble favoriser la position de l'appelante, n’emporte pas, automatiquement, la qualification de délai de déchéance et, en l’espèce, n'est pas en soi déterminant.
[31] L'appelante soutient que le libellé de l'article 123.7 L.n.t., notamment les termes « doit être », supporte sa position en ce que ces termes seraient un « texte exprès » par lequel le législateur signale la présence d’un délai préfix. La Commission pouvait raisonnablement lui donner tort sur ce point. Bien que la jurisprudence n'exige pas que le texte de l'article édictant un délai contienne le terme « déchéance », il faut tout de même qu'il ressorte nettement du texte que l'intention du législateur est d'en faire un tel délai, ce qui se manifeste par une mention précise, claire et non ambiguë. Or, le libellé de l'article 123.7 L.n.t. n'exprime pas de façon précise, claire et non ambiguë que le législateur souhaitait en faire un délai de déchéance. L'emploi des termes « doit être » indique certes que le délai est impératif, en ce qu'il ne peut être allongé à la discrétion de la Commission, mais cela ne signifie pas qu'il s'agit d'un délai de déchéance puisque le délai de prescription a également un caractère impératif, ne pouvant être prolongé – donc expressément – que par suspension ou interruption.
[32] Quant au but et au rôle du délai – critère identifié par Planiol et Ripert –, la Commission conclut que l'article 123.7 L.n.t. s'inscrit dans une loi de nature remédiatrice. Il aurait également pu souligner, de manière plus précise, qu'il s'insère dans le régime du recours pour harcèlement psychologique ayant été adopté pour conférer aux victimes de tels gestes une voie d'action moins coûteuse et plus rapide que le recours devant les tribunaux civils, ainsi que pour minimiser l'absentéisme résultant de tels comportements, qui entraîne des coûts importants pour les entreprises. Le but et le rôle du délai s’opposent, alors, à la qualification de délai de déchéance malgré le caractère relativement court du temps imparti. L'appelante n'a pas démontré qu'il existe « des raisons impérieuses commandant d'inclure dans un délai infranchissable l'exercice de ce droit », pour reprendre les termes de l’analyse de Planiol et Ripert.
[33] Dans l'ensemble, la décision de la CRT-2 de qualifier le délai de l'article 123.7 L.n.t. de délai de prescription appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Cette qualification fait en sorte que le commissaire Cloutier n'avait pas à soulever d'office le délai de l'article 123.7 L.n.t.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/uxi0Dp

Référence neutre: [2012] ABD 5

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