mercredi 21 décembre 2011

On ne peut intenter un recours collectif sur la base de la lésion subjective

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

En matière de recours collectif, le processus d'autorisation n'exige pas une identité parfaite des circonstances propres à chaque membre. Reste que pour autoriser le recours, le juge saisi de l'autorisation doit être convaincu que la détermination au fond n'exigera pas une enquête sur les circonstances propres de chaque membre du groupe. C'est pourquoi, comme le souligne l'Honorable juge Lucie Fournier dans Trudel c. Bell Canada (2011 QCCS 6750), il n'est pas possible d'instituer un recours collectif sur la base alléguée de la lésion subjective au sens de l'article 8 de la Loi sur la protection du consommateur.


Dans cette affaire, la Requérante demande l'autorisation d'exercer un recours collectif contre les Intimées en raison de la hausse unilatérale du taux d'intérêt annuel facturé par ces dernières sur les soldes acquittés après la date d'échéance des factures. Le recours proposé est basé, entre autres sources, sur l'article 8 de la Loi sur la protection du consommateur lequel traite de lésion. Les Intimées font valoir que le recours ne pourrait être autorisé que sur la base de la lésion objective, la lésion subjective n'étant pas propice à être traitée par voie de recours collectif.

La juge Fournier est d'accord avec la position des Intimées et souligne en conséquence que la formulation des questions communes devra être modifiée:
[26] Bell et Bell Mobilité ne contestent pas cet énoncé de faits. Cependant, selon elles, seul le recours en lésion objective prévu à la L.p.c. peut constituer une question commune aux membres du Groupe Consommateur. Le recours en lésion subjective ne peut être considéré comme une question commune au sens de l'article 1003 a) du Code de procédure civile.  
[...]  
[28] La Cour d'appel dans l'arrêt Riendeau c. Compagnie de la Baie d'Hudson mentionne ce qui suit à cet égard :
[27] Dans l’arrêt de principe Gareau Auto c. Banque canadienne impériale de commerce et Guy Carbonneau, [1989] R.J.Q. 1091 , le juge Chevalier, au nom de notre Cour, a établi une distinction claire entre les recours en lésion objective et ceux en lésion subjective (p. 1096): 
L’article 8 prévoit deux hypothèses où le consommateur peut invoquer la qualité de victime d’une lésion et utiliser les recours alternatifs de la nullité de la convention ou de la réduction des obligations qui en découlent.
La première est celle où la preuve établit que, en contrepartie de ce qu’il a reçu, on a exigé de lui une prestation nettement disproportionnée. La disproportion est une conclusion qui résulte des faits soumis, la preuve qui s’y rapporte consistant en une comparaison entre ce que l’on reçoit et ce que l’on donne. Dans ce contexte, j’opine que la personnalité des contractants et les circonstances dans lesquelles ils peuvent se trouver au moment où ils s’engagent ne sont pas matière à examen judiciaire. Le Tribunal n’a qu’à se demander : 1) s’il y a disproportion; 2) si cette disproportion est considérable au point de léser gravement le consommateur. Dès que le juge répond affirmativement à ces deux questions en se fondant sur les faits dont il a discrétion pour évaluer la valeur probante, il doit tirer la conclusion logique, savoir qu’il y a eu exploitation du consommateur. Dans un tel cas, il me paraît qu’il s’agit d’une lésion objective, que la présomption d’exploitation qui en est la conséquence juridique est irréfragable et que l’un ou l’autre des recours invoqués sont applicables. J’opine également qu’en pareille circonstance la notion du déséquilibre résultant de la position potentiellement inférieure du consommateur par rapport à celle supérieure du commerçant ne joue pas ou, en tout cas, ne constitue pas une considération déterminante de la décision à prendre. Enfin, j’estime que, saisi d’un litige portant sur un tel cas, le Tribunal n’est pas soumis à la règle de l’article 9, dont il sera question dans la suite de cette opinion. 
[…]
La seconde forme de lésion, celle dont l’intimé dit avoir été victime, est la conséquence d’une situation qui n’a plus trait exclusivement à l’objet lui-même de la convention, mais également aux obligations que cette convention comporte à l’égard du consommateur. Le fardeau qui lui incombe est de prouver qu’elles sont ou excessives, ou abusives, ou exorbitantes. 
Je ne crois pas que l’on puisse sérieusement contester le fait que c’est là une situation différente de la précédente. S’il en était autrement, je ne vois vraiment pas pourquoi le législateur aurait jugé à propos d’utiliser, entre les deux parties de l’article 8, la disjonctive « ou ». J’y trouve de même motif à conclure que c’est à cette seconde hypothèse qu’il faut appliquer, dans son sens le plus libéral et sous réserve de quelques commentaires ultérieurs, la règle de l’article 9.
Le caractère éminemment subjectif de cette catégorie de lésion me paraît également s’imposer. La phraséologie de l’article 9 est d’une clarté qui ne laisse aucun doute à ce sujet.
[28] Les recours en lésion objective et subjective n’obéissent donc pas aux mêmes règles juridiques. Si, comme le prétend l’intimée, ce sont les règles propres aux recours en lésion subjective qui gouvernent l’appelante, sa demande d’autorisation d’exercer un recours collectif est vouée à l’échec puisque le tribunal a l’obligation d’examiner les circonstances propres à chaque cas. Par contre, si elle peut intenter un recours collectif en lésion objective, il est possible qu’elle satisfasse la première condition posée par l’article 1003 C.p.c.
(nos soulignements)
[29] Le Tribunal est également de cet avis. Seul le recours en lésion objective, tel que prévu à la L.p.c., soulève des questions identiques, similaires ou connexes pour tous les membres du Groupe Consommateur.  
[30] Or, l'article 8 de la L.p.c. prévoit également un recours fondé sur la lésion subjective. 
[31] En conséquence, cette condition est remplie mais la quatrième question devra être modifiée pour se lire comme suit :
Ø Les Intimées sont-elles responsables des dommages subis par le Requérant et les membres du Groupe Consommateur en vertu de la lésion objective prévue à la L.p.c. ?

Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/sykLqI

Référence neutre: [2011] ABD 404

Autres décisions citées dans le présent billet:

1. Riendeau c. Compagnie de la Baie d'Hudson, J.E. 2000-641 (C.A.).

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